Avec un enthousiasme communicatif – et la complicité de Laurent Goumarre – la directrice de la Maison de la danse signe sa première Biennale de la danse. Resserrée sur 18 jours, non thématique, elle souhaite l’ouvrir à de nouveaux publics en favorisant l’éducation artistique et porte une attention particulière aux familles. Rencontre avec une chorégraphe enjouée qui va faire danser la ville.
Par Blandine Dauvilaire.
Cette 15e Biennale est la première dont vous assurez la direction artistique, comment comptez-vous imprimer votre marque à cet événement ?
Je mesure ma chance et le défi que représente cet héritage d’excellence. Je dois préserver et développer l’élan de la danse à Lyon, tout en apportant un nouveau souffle, surprendre avec de nouvelles attitudes artistiques et une nouvelle ligne éditoriale. Par mon parcours et ma sensibilité, j’amène l’expérience d’une artiste et un goût pour la recherche de nouveaux horizons. L’idée n’est pas de rompre, de soustraire ou d’effacer, mais d’ajouter à l’existant, d’offrir à la fois des valeurs sûres, fédératrices, et de faire un travail prospectif vers les grands de demain.
De quelle manière cela se traduit-t-il concrètement ?
Si je prends le défilé par exemple, comme j’ai beaucoup de plaisir à travailler avec les amateurs, je vais chorégraphier les pointillés et rajouter une chorégraphie d’une minute trente sur une musique de Mozart pour les 4 500 participants. Cette effraction artistique sera un moment de suspension où tout le monde respirera ensemble. Je veux que cette idée du lien soit beaucoup plus forte, qu’on soit reliés par une œuvre artistique. À l’issue du défilé, j’ai demandé à Mourad Merzouki (compagnie Käfig) de faire un spectacle gratuit place Bellecour (les spectacles gratuits sont une nouveauté dans cette Biennale). Il va adapter Récital avec 40 danseurs pour montrer l’école lyonnaise et la maturité du travail accompli. Car le hip-hop est quasiment né à Lyon. Il y a 15 ans, c’était une révolution. Guy Darmet a été le précurseur en considérant cet art et en le mettant sur un grand plateau. Il faut en faire un tremplin pour l’avenir.
La programmation jeune public est constituée de propositions extrêmement sensibles, avec des interprètes qui explorent des univers particuliers, qui ont des choses fortes à porter sur scène, cela semble vous tenir à cœur…
C’est vrai qu’il y a une fibre humaniste dans mon travail, un certain rapport à l’altérité, une forme de reconnaissance des cultures, de la diversité au sens des imaginaires. Tout cela fait l’originalité d’un auteur, sa signature. Pour moi, le moment le plus rassurant dans l’art, c’est le rapport entre l’extrême singularité et une réflexion assez universelle.
C’est le cas du spectacle L’Après-midi d’un foehn de Phia Ménard (dès 4 ans), qui est un petit ovni de pure poésie…
C’est un spectacle d’une très grande singularité, entre l’art plastique, le cirque, la danse. Il s’agit d’un ballet pour marionnettes en sacs plastique qui s’animent grâce à une soufflerie et créent un état de poésie. On découvre de temps en temps des bijoux comme celui-ci, qui sont des pièces parfaites. Pour l’éducation artistique des enfants, il faut qu’il y ait cette poésie, il ne s’agit pas d’être dans une démonstration didactique et austère de l’art contemporain. Ce qui m’intéresse avec le jeune public, c’est d’aller au sommet de l’exigence et de ce qu’il y a de plus prospectif dans l’art d’aujourd’hui, avec des pièces extrêmement réussies pour que ce ne soit pas ça qu’on voit, mais un objet sensible qui ouvre toutes les interprétations possibles et imaginables aux enfants.
Dans un genre très différent, vous accueillez Dans le ventre du loup de Marion Lévy (dès 6 ans)…
Cette chorégraphe, qui est aussi une très grande interprète de Anne Teresa de Keersmaeker, a une vraie liberté de ton et aime raconter des histoires. Dans cette pièce, elle revisite Les Trois Petits Cochons de manière purement ludique, au sens affirmé du jeu. Elle passe du texte à de la danse extrêmement vive, avec de petits moments de vidéo. La narration est très assumée. Et nous aurons la chance de la voir danser.
Avec La Confidence des oiseaux (dès 7 ans), Luc Petton nous fait vivre un moment étonnant…
Les enfants sont scotchés par cette rencontre inédite entre 4 danseurs et 30 oiseaux en liberté (perruches, geais, corneilles…). Champion de karaté et ornithologue, ce chorégraphe est le seul au monde à créer cette complicité entre l’homme et l’animal sur scène. Chez Luc Petton, ce n’est pas le corps qui est centre mais l’oiseau, et le rapport qu’il établit avec le corps en mouvement. Il n’y a pas de narration, on est dans une forme d’expérimentation. Il y a un tel niveau d’imprévisibilité, d’émotion, de surprise, que ça crée un univers esthétique fort.
Murmures de Bouba Landrille Tchouda (dès 11 ans) aborde la délicate question de l’enfermement…
C’est sa pièce la plus sensible. Bouba est quelqu’un d’extrêmement sincère qui nous parle du travail qu’il a fait avec les détenus dans les maisons d’arrêt, de leurs traumatismes, de comment la danse hip-hop a pu revaloriser la part d’humanité qui était abîmée. C’est une pièce simple et bien construite qui se passe dans une cellule. Il y a une forme d’intimité, d’extrême sobriété, d’intériorité dans le mouvement.
La nouvelle création de Mourad Merzouki, Yo gee ti (dès 8 ans), va créer la surprise…
Pour moi, Mourad est le chorégraphe populaire numéro 1. Sa force d’invention est d’aller à la rencontre d’autres univers, il fait ça de façon très harmonieuse et crée un plaisir esthétique. Il ne renonce jamais à transformer sa danse, jusqu’à un point où elle pourrait presque lui échapper dans l’identité première. Cette fois, il a travaillé avec des danseurs taïwanais néo-classiques. Il faut savoir que pendant 30 ans, les chorégraphes contemporains chorégraphiaient le hip-hop, et là, c’est un danseur hip-hop qui chorégraphie les danseurs contemporains. C’est historique ! Le célèbre styliste taïwanais Johan Ku a utilisé de la laine pour concevoir les costumes et le décor. Il y a une vraie beauté dans cette pièce.
Les danseurs japonais du Japanese Delight (dès 8 ans) vont mettre le feu à la Bourse du travail…
Ces trois crews (Mortal Combat, Repoll : FX et Former Aktion) pratiquent un hip-hop frontal, c’est du show, leur sujet c’est le spectaculaire et l’énergie. Il n’y a pas de dramaturgie, pas de scénographie. La plupart de ces danseurs ne sont pas professionnels car au Japon, il existe très peu de compagnies subventionnées, il y a donc beaucoup d’amateurs. Les danseurs que vous allez voir sont en fait directeurs de banque, informaticiens… et au top de la virtuosité. Le hip-hop dans le monde aujourd’hui… c’est le Japon ! Il y a une vraie culture et les enfants pratiquent les arts martiaux à l’école. Du point de vue des apprentissages, tout un travail est fait de façon démocratique sur la concentration, la précision du mouvement. C’est un peu la base des Mortal Combat. Ces sept danseurs sont entre le hip-hop, les arts martiaux, le manga et les jeux vidéo. Là on est dans les robots, la virtuosité inouïe. Ce que les Asiatiques ont de très fort, c’est qu’ils cherchent le travail d’ensemble, alors que nous cherchons l’individualité. Ça crée une sorte d’écriture collective rarement vue à ce niveau-là.
Les Repoll : FX s’inspirent de la musique funk-soul et de la classe de Cab Calloway, c’est de la comédie musicale avec un niveau d’exigence et de détails typiquement japonais. Tout est travaillé, c’est parfait, avec un style et une élégance totale.
Les Former Aktion sont des danseurs-poppers qui ont gagné tous les battles imaginables. On est dans l’excellence, l’extrême singularité, dans un engagement physique et sensible hors normes.
Et en ouverture du Japanese delight, vous allez découvrir Baby Boogaloo. Il vient de Los Angeles avec son papa, il a 7 ans, il chante, il danse comme un dieu, c’est une bête de scène !
Swan lake de Dada Masilo (dès 7 ans) s’annonce aussi ébouriffant…
Cette jeune chorégraphe sud-africaine donne sa version du Lac des cygnes, dont elle est tombée amoureuse à 11 ans. Avec beaucoup de légèreté, elle apporte une réflexion sur une tradition européenne, blanche, et l’appropriation par des danseurs noirs qui s’appuient sur leur culture. C’est sans complexe et fait avec une nécessité d’expression qui autorise tout. C’est un joyau de vitalité et de liberté des registres. En même temps, il y a une vraie pensée politique : comment, à l’heure de la mondialisation, des pays comme l’Afrique du Sud qui ont tant souffert s’approprient le répertoire du XIXe siècle ?
Philippe Decouflé va également présenter un Panorama de ses 30 années de création (dès 7 ans)…
Il a choisi des propositions assez intimistes, il y a beaucoup d’humour, c’est très ludique, les enfants adorent.
En complément des spectacles, vous développez les rendez-vous à vivre en famille…
À l’amphi de l’opéra, nous organisons Le Battle des enfants, pour laisser place aux danseurs hip-hop de l’avenir. Cinq équipes par tranche d’âges (7/9 et 10/13 ans) vont s’affronter devant le jury composé de Mourad Merzouki, Moncef Zediri des Pockemon Crew et Bruce Ikanjy, créateur du battle Juste Debout à Bercy.
Nous proposons aussi un Week-end en famille qui comprend deux temps forts. Le samedi 29, parents et enfants vont participer à un cinébal spécialement conçu pour eux. Nous allons projeter des extraits de scènes de bals du patrimoine cinématographique (la danse des Aristochats, celle de Baloo dans Le Livre de la jungle, Potiche, Le Guépard…), dont je vais proposer une transposition chorégraphique très simple, afin que tout le monde puisse danser. Les participants seront filmés et les images incrustées en direct dans l’univers du film. Le dress code sera en rapport avec l’un des films et les enfants pourront venir se déguiser lors d’un atelier avant le bal. Le lendemain, avant d’assister au Japanese delight, ils pourront participer à un atelier hip-hop parents-enfants.
J’aimerais petit à petit créer un rapport à l’art complet. Que les gens qui pratiquent la danse aillent voir les œuvres, et que ceux qui aiment la danse découvrent aussi le plaisir de danser. Mon but est de créer une dynamique du plaisir de voir et du plaisir de faire.
Quand on regarde l’ensemble de la programmation de cette Biennale, on a le sentiment que vous prenez de l’altitude pour nous parler de la vie et des moments clefs où les choses peuvent basculer…
J’espère vraiment arriver à créer cette fibre humaniste, rentrer dans les fondamentaux des émotions humaines, sans exclure les démarches formelles les plus radicales qui font partie de l’histoire de l’art. Il faut rouvrir ce rapport entre l’art et la vie, c’est quelque chose que j’ai beaucoup développé dans mon travail de chorégraphe avec Montalvo. Je pense que le terrain d’expérimentation où on se confronte aux êtres, c’est le vrai terrain politique. Pour moi, la politique c’est la générosité : combien d’heures on donne aux autres par jour ? Est-ce que je reste dans ma tour d’ivoire ou est-ce que je suis capable de travailler trois mois avec les enfants de la Duchère pour préparer le défilé ? De mon point de vue, c’est la seule vérité.
15e Biennale de la danse
Du 13 au 30 septembre. Programme complet et réservation : www.biennaledeladanse.com
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