Voilà une saga exemplaire comme on aimerait en raconter plus souvent. Apiculteur et biologiste, amoureux fou de la nature, Bernard Chevilliat s’installe en Ardèche en 1977. Ce berger d’abeilles, qui pratique l’apiculture transhumante, veille alors sur plus de 500 ruches. En 1983, il crée Melvita (le miel et la vie) et lance ses premiers soins de beauté naturels, dont les fameux savons hexagonaux au miel. Pionnier français de la cosmétique bio, il s’engage à respecter l’environnement à tous les stades d’élaboration de ses produits et à œuvrer au quotidien pour rendre ce monde meilleur. Idéaliste ? Pas tant que ça, au regard des résultats et de l’impact sur le territoire 30 ans plus tard. Devenu l’un des premiers employeurs d’Ardèche du sud avec 360 salariés, Melvita a conçu à Lagorce une éco-usine modèle de 16 000 m². Celle-ci ouvre désormais ses portes au public pour des visites guidées dont on ressort admiratif. Jugez plutôt.
“ Bienvenue chez Melvita ! ” L’invitation à découvrir cette vaste “ maison ” de bois nichée en pleine nature est lancée d’une voix teintée de soleil. Pas de doute, nous sommes bien en Ardèche méridionale. La visite débute par un film qui retrace avec une certaine poésie le parcours du fondateur et les valeurs qui animent sa marque. L’occasion de rappeler son attachement aux abeilles, ouvrières indispensables à l’écosystème.
Une volée de marches plus bas, nous voici près du stock de matières premières. 600 ingrédients naturels et bio sont utilisés pour fabriquer les 300 références de la marque. Pour s’ouvrir à l’international, Melvita a décidé de rejoindre le groupe l’Occitane en 2008. En quatre ans, 56 boutiques ont fleuri à travers le monde, essentiellement en Asie. Impossible d’approcher la salle d’archives et l’échantillothèque… “ c’est le coffre-fort de la maison ”, glisse avec amusement notre guide. Pour respecter les règles d’hygiène en vigueur dans les salles de fabrication, les visiteurs observent l’activité des techniciens par des baies vitrées. Équipés de combinaisons, de charlottes et de chaussons, ils évoluent dans une atmosphère contrôlée et ne communiquent que par téléphone, afin d’éviter toute contamination dans les salles de pesées. Certains produits contenant jusqu’à 25 matières premières, la pesée totale peut durer 4 à 5 heures. L’étage, qui abrite quatre laboratoires, permet aussi d’apercevoir la toiture végétalisée (favorisant l’isolation thermique) de cette éco-usine où rien n’est laissé au hasard : puits de lumière pour réduire la consommation électrique, panneaux solaires pour chauffer une partie de l’eau, panneaux photovoltaïques pour produire de l’électricité, récupération d’eau de pluie, nettoyage des eaux usées avant leur rejet dans la forêt, recyclage des déchets, navettes gratuites pour les salariés, incitation au covoiturage… Bernard Chevilliat et sa fille Amanda, qui a rejoint l’entreprise il y a dix ans, pratiquent l’excellence écologique. Retour au rez-de-chaussée pour assister au conditionnement des cosmétiques. Dans un ballet digne de Charlie Chaplin, flacons, tubes et pots glissent de machine en machine. La visite s’achève à la boutique autour du bar à miels avec une dégustation et un quiz pédagogique. On quitte le site en méditant la légende du colibri chère à Pierre Rabhi* : un jour, dit une légende amérindienne, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes d’eau dans son bec pour les jeter sur le feu. Le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : “ Colibri ! Tu n’es pas fou ? Tu crois que c’est avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ? ” Et le colibri lui répondit : “ Non, mais je fais ma part ”.
Blandine Dauvilaire
*écrivain et penseur, pionnier de l’agro-écologie installé en Ardèche.