Tempus fugit ?, qui est en cours de création, est le 10e spectacle du Cirque Plume. Avez-vous vu le temps passer ?
Non, pas tellement, mais on ne l’a pas vu ne pas passer non plus… (il rit). J’ai l’impression d’avoir créé un poème et d’avoir pu le partager. Ce poème, c’est l’ensemble de nos spectacles. Le partage a toujours été là, même au début quand on ne savait pas faire grand-chose, les gens repartaient avec la banane.
Est-ce l’occasion de dresser un bilan ?
Peut-être pour dire que certaines intuitions que nous avions il y a 30 ans existent encore fortement aujourd’hui, notamment le fait de penser que le cirque, c’est la nostalgie du paradis. D’un temps d’avant la chute, d’un temps où tout était possible. J’ai la conviction que le cirque permet de se mettre dans un état où nos désirs deviennent accessibles. On a le désir de voler ? On va faire du trapèze. À côté d’une mouette ce n’est rien, mais notre désir de voler est bien plus fort que celui de la mouette. C’est là que les choses du cirque se passent.
Qu’est-ce que Plume a apporté au monde du cirque ?
Quand nous avons commencé, il y a avait aussi Archaos, Zingaro et d’autres gens, mais l’art du cirque était donné pour mort, totalement obsolète. Et nous avons ranimé la flamme, décliné le cirque sur un mode poétique, mélangé l’excellence technique, l’ignorance, la fragilité et la force à égalité.
D’innombrables souvenirs émaillent ces trente années, quels sont ceux qui vous reviennent immédiatement en mémoire ?
Les relations avec le public sont extrêmement émouvantes. En 2002, pour l’année du cirque, nous avons fait un spectacle best-of – Récréation – en reprenant des éléments chronologiques de tous nos spectacles. À la fin, une dame est venue me parler, en larmes, parce que son histoire personnelle se confondait avec la nôtre. Elle avait connu son mari à notre premier spectacle, eu son premier enfant à notre deuxième spectacle, son deuxième à notre troisième spectacle… et elle était venue ce soir-là avec toute sa famille, c’était vraiment chouette. Je pense que nous touchons les gens avec une certaine familiarité, c’est peut-être notre humanité commune.
Plic Ploc, créé en 2004, a été un grand succès…
C’est un spectacle qui a marqué les esprits et dont l’idée m’est venue à New York, en voyant un climatiseur déverser des tonnes d’air froid sur les spectateurs. On était en train de détraquer le climat de la planète pour que chaque individu ait un petit climat égal chez lui, dans les taxis et même sous chapiteau… J’ai décidé de faire un spectacle avec un climatiseur qui fuit ! Une goutte d’eau tombe sur une cymbale et c’est le début d’une perturbation majeure. Et on a créé Plic Ploc juste sur cette petite idée. Pas mal de gens venaient nous voir avant le début de la représentation pour nous signaler qu’il y avait une fuite d’eau sur scène, alors que ça faisait partie du spectacle [un plombier acrobate tente de stopper une fuite d’eau qui dégénère joyeusement, NDLR].
Le Cirque Plume de 2013 est-il différent du Cirque Plume d’il y a trente ans ?
Oui, parce que Robert Miny, cofondateur et compositeur de toutes les musiques de la compagnie, n’est plus là. Mais du point de vue de ce qui nous anime, je ne pense pas. Nous avons grandi tout en restant dans le même esprit.
Vous dites que Tempus fugit ? est un spectacle de transition…
Il est tout à fait particulier car il va chercher des éléments de la mémoire de toute l’histoire du Cirque Plume. Nous voulions faire un spectacle des 30 ans parce que ça correspond à une génération, pendant laquelle il s’est passé plein de choses dans le cirque. J’ai imaginé que de jeunes artistes rentraient dans les hangars du Cirque Plume, ouvraient des malles, trouvaient des objets mais aussi des gens, des souvenirs, des émotions…
Comme toujours, vous allez procéder par petites touches poétiques…
Oui, pour installer des climats, des tableaux ou des rencontres. Nos spectacles ne sont jamais narratifs car la narration s’oppose un peu au fondamental de l’art du cirque. Si vous racontez un trapèze, ce n’est pas la peine de le jouer. Le saut périlleux est dans l’éternité de son instant. C’est la même différence qu’entre raconter un déjeuner et le partager avec des amis.
Qu’avez-vous envie de dire aux jeunes spectateurs qui vont découvrir l’univers du Cirque Plume pour la première fois ?
Laissez-vous aller, c’est vous qui inventez le spectacle !
Propos recueillis par Blandine Dauvilaire. Article paru dans Grains de Sel n°84 de mai 2013.