Le MuCEM : un musée comme on les aime
Composé du fort Saint-Jean enfin ouvert au public et du spectaculaire bâtiment J4, conçu par Rudy Ricciotti associé à Roland Carta, le musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée est le premier musée au monde consacré aux cultures de la Méditerranée. Ancré à l’entrée du Vieux-Port, il est le nouveau symbole fort de Marseille.
Avec ses panoramas grandioses sur le quartier du Panier, le Vieux-Port, le littoral et la mer, le MuCEM est aussi beau à regarder qu’à visiter. La première approche, totalement gratuite, consiste à pénétrer dans le fort Saint-Jean pour découvrir le jardin des Migrations. Subdivisée en 16 petits espaces, cette balade végétale présente les plantes du bout du monde qui nous sont devenues familières.
Un peu plus loin, l’histoire du fort est racontée sous la forme d’un spectacle audiovisuel. Le voyage se poursuit avec la traversée de la passerelle qui permet de gagner le toit terrasse du J4. L’architecture et l’horizon ondulent à l’unisson. Tracées avec sensualité, les rampes qui enserrent le bâtiment invitent ensuite à descendre en douceur jusqu’à l’esplanade.
Ceux qui veulent plonger dans les collections de ce musée unique en son genre n’ont que l’embarras du choix. Au J4, deux expositions temporaires – “ Le Noir et le bleu, un rêve méditerranéen ” (pour les adultes) et “ Au bazar du genre, féminin / masculin ” (dès 13 ans) – complètent La Galerie de la Méditerranée, espace permanent dédié aux civilisations méditerranéennes.
En parallèle, “ L’Odyssée des enfants ” propose aux 7–12 ans
accompagnés d’un adulte de s’imprégner à leur rythme d’histoire et de culture, grâce à un parcours-jeu conçu rien que pour eux. Équipés d’une tablette tactile, conseillés par un médiateur, ils partent en mission et collectent des indices pour répondre aux énigmes.
Dans un tout autre genre, l’exposition “ Le Temps des loisirs ”, déployée dans le fort Saint-Jean à partir des collections d’art populaire, évoque les fêtes qui jalonnent l’année et embellissent la vie des hommes depuis des siècles. Magie, pré-cinéma, premier costume de clown, collection de marionnettes (les Lyonnais croiseront même Guignol !), maquette de cirque géante datant du début du XXe siècle… les œuvres réunies dans ce labyrinthe de petites salles éveillent la curiosité des plus jeunes (livret-jeu gratuit dès 6/7 ans disponible à l’accueil).
Enfin, si les collections du MuCEM vous passionnent, sachez que les réserves installées au Centre de conservation et de ressources, à la Belle-de-Mai, sont en partie ouvertes au public.
> À lire pour enrichir sa visite : Objectif MuCEM, le guide des visites en famille, Actes Sud Junior, 13,50 €. Sortie mi-juin.
Rudy Ricciotti : archi doué
Connu pour son discours radical et ses gestes architecturaux forts, comme le département des arts de l’Islam au Louvre, ce Provençal au caractère ardent signe le J4. Un bâtiment séduisant qui dialogue avec la mer, le ciel, la terre et dont il parle avec passion.
D’une beauté mystérieuse, le J4 relié au fort Saint-Jean captive le regard.
Comment avez-vous conçu ce projet ?
J’ai souhaité éviter de rivaliser avec le fort Saint-Jean, qui était un site militaire inaccessible aux Marseillais, où les jacobins, soldats de la République, avaient été emprisonnés et brûlés vifs. La covisibilité architecturale avec le fort pouvait être un problème. Il est vite apparu évident de refuser la brillance bling-bling. À la massivité du fort répond la dématérialisation du J4. Celui-ci, avec la peau et les os, sa maigreur structurelle, son absence de reflet et sa matité, renvoie à la métaphore de l’espace méditerranéen. La circulation extérieure par rampes périphériques au musée procède du mouvement de la ziggourat* et devient cheminement long et initiatique pour arriver à la terrasse, reliée au fort Saint-Jean par une passerelle.
La résille qui habille le bâtiment évoque les reflets de la lumière sur la mer, mais aussi le moucharabieh utilisé dans les pays arabes…
Le sud est un voyage mental et non un extrait de naissance. C’est par croyance que ce musée se situe au sud et non par crispation identitaire. La filiation avec une mémoire orientaliste lointaine marque le MuCEM. Par ses différents filtres solaires, il porte ses ombres sur la figure. Enraciné dans son contexte, il est cependant la présence emblématique de l’État républicain à Marseille. En ce sens, il est également une main tendue à la cité phocéenne rebelle. Cet édifice se reconnaîtra latin, dans un paysage minéral et orientaliste, dans ses intuitions contextuelles. Une section de roche corallienne inspire la forme de la résille.
Le béton est devenu votre signature, votre matière de prédilection, pourquoi ?
Je travaille avec le béton, c’est une affaire de croyance, au sens politique et esthétique. Lorsque l’architecte fait son métier, l’intérêt du béton est sa liberté, pas forcément dans la technologie mais dans “ l’ouvragerie ”. Cela signifie que le béton appelle de gros besoins de main-d’œuvre, fabricant de mémoire du travail non délocalisable. Ce qui m’intéresse, c’est précisément de concevoir des bâtiments dans lesquels les besoins en main-d’œuvre sont importants. Et non l’inverse. On a atteint aujourd’hui un niveau incroyable d’accélération du déclin de perte de savoir-faire par le biais hégémonique du minimalisme pour lequel j’ai du mépris, non comme phénomène de style mais comme moteur-accélérateur de la perte des mémoires. Je pense que nous, les architectes, avons très largement contribué à la destruction des métiers et à la destruction de la mémoire du travail. En collaborant à cette extase minimaliste, on participe aussi, à notre petit niveau de prédateur, à la délocalisation des savoirs. Je ne veux pas faire des bâtiments comme on fait de la malbouffe de fast-food. Je veux faire des bâtiments complexes à réaliser représentant un gain en termes de recherche et développement.
De quelle façon les jeunes visiteurs et leurs parents peuvent-ils s’approprier les lieux ?
Depuis le quartier populaire du Panier, un parcours gratuit via le Fort Saint-Jean et le MuCEM permet d’aboutir à l’espace public du J4. Ainsi naît une nouvelle porosité sociale à ce vaste territoire jusqu’ici interdit. Les transparences visibles depuis les passerelles périphériques (gratuites d’accès) vers les activités muséales sont les mains tendues de la culture vers la jeunesse marseillaise. Là est aussi l’objectif politique d’un musée national. Marseille est la dernière ville alternative de la vieille Europe. La culture s’y inscrit dans le paysage et les Marseillais sont des artistes par extrait de naissance et de voyage.
Pensez-vous que ce projet peut favoriser le dialogue entre les peuples et au sein des familles ?
Le lien est poreux, sensible et disponible. Il est une main tendue à ceux qui voudront le parcourir.
Quel est votre vue préférée depuis le MuCEM ?
Depuis les rampes ascensionnelles, sur la toiture terrasse et depuis la passerelle enjambant la darse.
Que répondez-vous aux enfants qui se demandent à quoi sert l’architecture aujourd’hui ?
À fabriquer du patrimoine, du lien social et le plaisir de partager ensemble la cité. Construire, c’est espérer pour les générations futures.
Le fait d’être grand-père a-t-il enrichi ou modifié votre regard d’architecte ?
Très certainement. Je suis grand-père trois fois. C’est un honneur et une responsabilité supplémentaire d’être grand-père. La famille, c’est très important. Je suis anxieux au sujet du futur comme tous les citoyens, en tant qu’architecte également. Cela oblige à être plus généreux et plus attentif à notre métier.
Qu’avez-vous mis de personnel dans ce MuCEM ?
Une sensibilité au contexte : le fort, la mer et Marseille.
Quel principal souvenir conserverez-vous de cette aventure humaine et professionnelle ?
Ce fut un chantier du XIXe siècle avec des gens exceptionnels. De l’ingénieur à l’ouvrier. Je leur dois tout. Ils ne me doivent rien. Le MuCEM est assurément une œuvre collective où l’architecte ne tient qu’un rôle partiel.
* édifice religieux mésopotamien à degrés
Le J4 en chiffres
– 15 000 m2 de surface
– 3 700 m2 d’espaces d’exposition
– 1 auditorium de 335 places
– 1 librairie
– 1 restaurant sur la toiture terrasse
– 820 m de passerelles périphériques
– 135 m de passerelle entre le J4
et le fort Saint-Jean
– 6 650 m2 de surface de vitrages
– 1 500 m2 de résille, soit 384 panneaux de résille en Bfup. Plus résistant qu’un béton traditionnel, le béton fibré à ultra haut performance contient des fibres (métalliques et en polypropylène) plus fines que des cheveux qui le rendent très malléable, étanche et permettent de le travailler sur une faible épaisseur (7 cm pour la résille). Réalisé à partir de matières premières locales et porté par des métiers locaux, il offre une meilleure empreinte écologique et sociale que l’acier ou l’aluminium et ne nécessite aucun entretien.