L’art d’en faire toute une histoire
En choisissant comme titre « Entre-temps… brusquement, et ensuite », la 12e Biennale d’art contemporain de Lyon plante le décor d’une édition placée sous le signe de la narration. Sélectionnés par Gunnar B. Kvaran, commissaire de l’évènement, les 76 artistes présents nous racontent visuellement – et nous invitent à nous raconter – des histoires. Fortement influencés par les nouvelles technologies, graves, grinçants, héroïques, poétiques, leurs récits aux couleurs du monde investissent cinq lieux. Petit tour d’horizon des œuvres à voir absolument, dès 6/7 ans.
Au musée d’Art contemporain
Ici sont réunies des œuvres fortes, dont le pouvoir d’évocation et parfois la poésie nourrissent l’imaginaire des visiteurs. On réservera le dernier niveau aux plus grands.
– 1er étage
À travers une série de photos retravaillées et un podium doré,Glenn Kaino évoque l’athlète Tommie Smith, évincé des J.O. de 1968 pour avoir protesté contre les discriminations raciales.
Ludiques en apparence, les maisons de poupées construites par Robert Gober revisitent en fait ses souvenirs personnels (le papier peint est fait main).
Coup de cœur pour les installations d’Antoine Catala qui composent le rébus « Il était une fois… ». En jouant avec l’hologramme, l’imprimante 3D, la vidéo-sculpture, l’artiste crée de formidables effets dont on vous laisse la surprise.
Plus oniriques, les chevaux noirs à bascule de Mary Sibande nous entraînent dans les aventures imaginaires de Sophie, son héroïne récurrente.
– 2e étage
Inspirée par la chouette artificielle du film Blade Runner, Ann Lislegaardréalise une vidéo-animation saisissante où l’animal happe le regard. Mais c’est Matthew Barneyqui ébouriffe le plus notre imagination et nous transporte au Japon avec une sculpture monumentale, faite de plastique et carapaces de crevettes odorantes, accompagnée d’un long-métrage et de dessins… Impressionnant.
À la Sucrière
Particulièrement foisonnant et facile d’accès, le parcours du rez-de-chaussée débute néanmoins avec une œuvre susceptible de heurter la sensibilité des plus jeunes. Échappés d’un cartoon après une course-poursuite ayant laissé son empreinte dans le mur, Vil Coyote et Roger Rabbit, sculptés en taille XXL parDan Colen, gisent au sol, entourant la silhouette nue de l’artiste d’un réalisme dérangeant. Pour éviter la confrontation, mieux vaut tourner tout de suite à droite et prendre le temps d’entrer dans l’univers en mouvement de Ian Cheng, qui confie à son logiciel le soin de créer une nouvelle forme de narration aléatoire et sans fin. Un peu plus loin, entouré de gazon et clos par des murs en bois, le Prototype de paradisinstallé par Fabrice Hyber invite le visiteur à pénétrer dans un espace où tout est codé et où les miroirs démultiplient les reflets (belle vue d’ensemble depuis le 1er étage). Tandis que Tavares Strachan rend hommage à la première femme cosmonaute américaine à travers une installation subtile, le chinois Yang Zhen Zhong pose un regard satirique sur l’unité de son pays : vus depuis l’estrade, les neuf éléments de son installation s’assemblent impeccablement pour dessiner la place Tien Anmen, alors que tout paraît désordonné vu d’en bas… Enfin, pour gagner le café-restaurant, et le jardin pas si zen que ça dessiné par MadeIn Company, traversez les vitrines kitsch du musée imaginaire que ce collectif de Shanghai a organisé avec ironie.
Un peu plus hermétiques, les œuvres du 1er et surtout du 2e étage s’adressent franchement aux plus grands. On aime les dessins de Karl Haendel et l’ambiance onirique distillée par l’installation de Gabríela Fridriksdóttir.
À la Fondation Bullukian
Roe Ethridge (à qui l’on doit les affiches de la Biennale) installe une courte mais touchante sélection de photos saisies durant ses dernières vacances en famille. Des scènes du quotidien, comme sa fille dégustant une glace bleue, mais aussi une image du quartier de Rockaway Beach (New York) dévasté après l’ouragan Sandy, où vit l’artiste.
Dans le jardin, Yoko Ono nous invite à partager nos rêves d’été en les écrivant sur l’ordinateur de la Fondation (ou via le site de la Biennale), ces messages sont ensuite diffusés en boucle sur l’écran lumineux installé en plein air.
À l’église Saint-Just
Le temps de la Biennale, le lieu accueille l’imposante maquette duBarbie slave ship (Le Bateau d’esclaves de Barbie) construit parTom Sachs. À travers cette reconstitution d’un vaisseau du XVIIIe siècle, l’artiste dénonce la traite des Noirs. Pour ce faire, il installe dans la cale, en lieu et place des esclaves, une multitude de poupées Barbie enchaînées par les pieds. Pour Sachs, qui manie l’humour grinçant sans modération, notre monde moderne, de la conquête spatiale à Britney Spears, n’aurait pu exister sans le sacrifice de ces hommes.
À la chaufferie de l’Antiquaille
Exceptionnellement ouverte au public pour l’occasion, l’ancienne chaufferie de l’hôpital, copieusement taguée depuis sa fermeture, accueille deux œuvres du chinois Zhang Ding.Control Club (dès 10 ans) : sorte de sculpture sonore constituée d’amplis et surmontée d’une cloche, l’œuvre diffuse un son puissant qui mélange bruits d’émeutes assourdis, vibrations et symphonie de Beethoven. Oreilles sensibles s’abstenir.
Buddah Jumps over the wall (pour ados) : inspirée d’un plat chinois réservé à quelques privilégiés, cette vidéo à la violence explosive montre des animaux en plâtre immaculé sur lesquels tire un boucher anonyme, faisant couler le sang. Accompagnée de musique symphonique, l’œuvre évoque la corruption qui règne en Chine.