Olivier Py fait ses contes
Metteur en scène, auteur, comédien, le nouveau directeur du Festival d’Avignon vient lire une série de contes aux Assises internationales du roman de Lyon. L’occasion d’évoquer la place toute particulière qu’il accorde aux textes des frères Grimm. Par Blandine Dauvilaire.
• Qu’allez-vous lire aux Assises internationales du roman ?
J’ai choisi les contes de Grimm que j’ai moi-même adaptés : La Jeune Fille, le diable et le moulin et L’Eau de la vie.
• Pourquoi cet attachement aux textes des frères Grimm ?
Parce qu’ils sont parmi les plus grands textes de l’humanité, ils sont essentiels. Aussi parce qu’ils ne s’adressent pas directement aux enfants. Parce que j’ai travaillé énormément sur le romantisme allemand et qu’ils en sont une des origines. Enfin, parce que leur style est tellement épuré qu’il permet des adaptations très très diverses.
• Pensez-vous que ces textes parlent encore au public d’aujourd’hui ?
Ce sont des textes éternels qui parleront toujours au public, comme Eschyle et Shakespeare. Ils ont rejoint le panthéon des écrivains essentiels de l’humanité.
• Et les images fortes qui s’en dégagent vous inspirent manifestement…
Oui, parce que souvent dans ces contes-là, qui sont des contes plus initiatiques que moraux, la cruauté raconte aussi la violence qui est faite à l’enfant. Je trouve que c’est un sujet important. Quand on fait du théâtre pour les enfants, il faut accepter de leur dire des choses graves, des choses essentielles. Parler aux enfants de la souffrance de l’enfant me semble une des vertus du théâtre.
• Les pièces que vous avez montées à partir de ces textes-là s’adressent à tous sans être édulcorées…
Le but est justement de parler aux enfants de la violence, de la mort, du travail, de la violence sociale, de la solitude et même du désir, c’est de ça dont ils ont besoin. Il faut les mettre sur le même plan d’intelligence que les adultes, mais quelquefois avec une nécessité encore plus grande, et avec une soif et un émerveillement certainement plus grands. C’est toujours une chance pour un artiste de s’adresser aux enfants, une chance de se rapprocher de soi-même et de retrouver l’enfance qu’on a perdue.
• C’est également plus difficile…
Oui, c’est très exigeant et difficile. Je dirais qu’un spectacle pour enfants doit avoir une sorte de perfection, parce que les enfants qui viennent au théâtre voient souvent leur premier spectacle, donc on a un rôle considérable, on est peut-être à l’origine d’une vocation.
• Justement, en tant que nouveau directeur du Festival d’Avignon, vous avez décidé d’envoyer un signal fort au public et aux institutions, en proposant un cycle jeune public dans un lieu qui lui sera dédié…
Il y aura trois spectacles pour enfants dans le festival et ils seront joués à la chapelle des Pénitents Blancs. Ce sont trois pièces contemporaines : Falstafe de Valère Novarina ; Même les chevaliers tombent dans l’oubli de Gustave Akakpo, mis en scène par Matthieu Roy, et La Jeune Fille, le diable et le moulin que j’ai recréée. C’est une manière de montrer au public que le théâtre reste populaire, car le théâtre pour enfants est nécessairement du théâtre populaire, c’est synonyme. Et puis il y a un vecteur social important, car les enfants peuvent faire venir un public de parents qui ne viendrait pas au théâtre.
• Vous présenterez une nouvelle version de la pièce La Jeune Fille, le diable et le moulin que vous avez écrite et mise en scène d’après les frères Grimm…
C’est une version très différente, beaucoup plus légère, elle aura d’ailleurs aussi pour vocation de tourner dans des lieux qui ne sont pas forcément des lieux de théâtre, ce sera aussi beaucoup plus musical.
• Le texte de Gustave Akakpo, Même les chevaliers tombent dans l’oubli, sera mis en scène par Matthieu Roy…
La pièce parle à la fois de l’identité noir/blanc et de l’identité garçon/fille, d’une petite fille blanche qui voudrait être un chevalier noir… Cette pièce s’adresse aux enfants dans la construction de leur identité : qu’est-ce que c’est être noir, être blanc, est-ce que ça veut dire quelque chose ? Est-ce qu’on peut se sentir noir quand on est blanc, blanc quand on est noir ? Est-ce qu’on peut se sentir un garçon quand on est une fille, une fille quand on est un garçon ? C’est un très beau sujet. C’est un texte qui réconcilie, qui donne de l’espoir.
• Et Falstafe, avec un e…
C’est une pièce de Valère Novarina qui n’était pas pour les enfants, mais que Lazare Herson-Macarel a adaptée et mise en scène pour eux. Je pense que ça tient beaucoup de la jouissance de la langue, mais aussi du personnage de Falstafe, qui est une sorte de clown, qui ressemble à l’enfant dans son impossibilité à devenir adulte en quelque sorte. L’idée de présenter Novarina aux enfants me plaisait beaucoup, parce qu’on pense que c’est un auteur difficile ou élitiste, alors que je pense que c’est un auteur profondément populaire.
• Le geste fort de votre programmation va conforter d’autres actions en faveur du jeune public, comme le lancement de La Belle saison avec l’enfance et la jeunesse, dont le coup d’envoi sera donné pendant le Festival d’Avignon…
Je me réjouis toujours quand on fait des choses dans ce domaine et quand le théâtre jeune public a plus de reconnaissance et de moyens, je pense que c’est extrêmement important. On doit continuellement envoyer des signes au public, parce qu’on lutte contre des phénomènes d’autoexclusion. Ce ne sont pas simplement des problèmes financiers, il y a toutes sortes de résistances chez un individu pour ne pas aller au théâtre et pour se priver de cette joie-là.
• À quel âge avez-vous découvert le théâtre ?
Extrêmement tard ! J’étais dans une région où il n’y avait pas beaucoup de théâtre (la Côte d’Azur). Ce qui a été fondamental, c’est qu’en classe de 4e, il y a eu un atelier théâtre avec un professeur de français très militant, qui a invité des acteurs à travailler dans l’établissement où j’étais, qui n’était pas un collège facile. Et ça je crois que ça a vraiment changé ma vie. C’est pour ça que je crois toujours à l’action sociale. Je crois que ça sauve des vies.
• Qu’avez-vous envie de dire aux enfants comme aux adultes pour leur donner envie de venir au Festival d’Avignon cet été ?
Il ne faut pas se priver des belles choses !