Allez on danse !
En faisant la part belle à la performance et aux arts du cirque, la 16e Biennale de la danse s’ouvre largement aux familles. Dominique Hervieu, sa directrice, également directrice de la Maison de la danse, a conçu une programmation pointue et populaire, extrêmement joyeuse et curieuse d’autres univers, dont elle nous parle avec enthousiasme. Par Blandine Dauvilaire.
Vous avez souhaité développer deux lignes de force dans cette Biennale, pourquoi ?
Les lignes de force permettent au spectateur de faire un parcours à l’intérieur d’une très grande diversité esthétique. La première concerne la performance parce que je trouve que comme l’abstraction ou le collage, c’est un des grands marqueurs de la modernité. En comprenant mieux ce que la performance a apporté à la danse, on rentre plus facilement dans l’art d’aujourd’hui. Je veux montrer qu’on n’est plus dans un principe binaire où l’on choisit son camp : soit la radicalité de la performance, soit l’académisme du spectacle. Les jeunes artistes nourris par cette culture performative jouent avec la danse classique, l’émotion, la musicalité et ça redonne beaucoup de vitalité à l’invention.
En contrepoint, l’autre ligne de force est le cirque et sa virtuosité. On est arrivé à une maturité, il y a un engouement du public. Aujourd’hui, les collaborations de chorégraphes et de circassiens sont multiples et pertinentes. Ce sont nos cousins.
En matière de spectacles jeune public, quels sont vos critères de choix pour la Biennale ?
Je cherche les artistes qui sont en train de créer pour le jeune public et je tente d’être auprès de ceux auxquels on ne s’attend pas, comme Thomas Lebrun, artiste iconoclaste qui passe du lyrisme aux pièces chic et choc ; Maria Clara Villa-Lobos que l’on a peu vue et qui a fait une pièce parfaite ; ou Alessandro Sciarroni, artiste conceptuel qui n’est jamais venu à Lyon.
Têtes à têtes de Maria Clara Villa-Lobos (dès 5 ans) est l’un de vos coups de cœur…
C’est une initiation ludique à l’art et au corps. Il n’y a pas de narration, ce sont des évocations poétiques. Je trouve que de ne pas dissocier la découverte de soi, du monde et des arts, c’est la voie royale pour la construction des êtres, sans doute la façon la plus sophistiquée de grandir. Je dis souvent à mes collègues que c’est la meilleure pièce de la Biennale. C’est un bijou !
Tel quel de Thomas Lebrun est aussi très réussi (dès 7 ans)…
C’est une pièce sur la différence, l’acceptation de l’autre, la tolérance, qui parle avec beaucoup d’humour de grandir en étant soi-même (voir p.13).
Alessandro Sciarroni va présenter Joseph kids (dès 8 ans), version jeune public de Joseph, la pièce emblématique qui l’a fait connaître…
L’esthétique de ce spectacle fait appel à Internet, au travail de vidéo, à la danse et à une narration complètement loufoque. C’est une hybridation des genres. Je pense que les enfants peuvent faire la même chose en rentrant chez eux.
La Biennale sera aussi l’occasion de voir ou revoir Récital à 40 de Mourad Merzouki, qui reprend sa pièce culte dans une giga version pour 40 danseurs (dès 8 ans)…
Mourad a un vrai talent d’écriture de groupe et cette pièce l’a confirmé. Son idée est de rassembler cinq générations de hip-hopeurs, tous de la région lyonnaise. C’est l’histoire du hip-hop ici depuis 15 ans. J’imagine tout à fait Mourad à la tête d’une compagnie de 40 danseurs, ça pourrait être une sorte de Maurice Béjart d’aujourd’hui.
Les 23 acrobates de la compagnie XY vont nous donner la primeur de leur nouvelle création : Il n’est pas encore minuit (dès 8 ans)…
Ils travaillent en collaboration avec Loïc Touzé, chorégraphe qui vient aussi de la performance. Ce sont des amplificateurs, ils sont de plus en plus nombreux et vont de plus en plus loin dans la virtuosité et l’écriture. J’aime bien les gens qui matérialisent un idéal ou une valeur. Eux matérialisent la solidarité par les risques qu’ils prennent physiquement. C’est beau. Ils ont une relation à leur vocabulaire qui est très proche de la danse. Le point culminant n’est pas la fin du mouvement, mais quand ils tombent. L’important, c’est comment on commence, d’où ça vient, jusqu’où ça va, comment on retombe, qui nous rattrape… ça décale tout et ça devient extrêmement poétique.
L’Autre de Claudio Stellato devrait créer la surprise (dès 9 ans)…
C’est un artiste à suivre, touche-à-tout de génie, un peu fou, très drôle, complètement habité par son art. Musicien devenu danseur, passé au cirque, de tout ça il crée un monde totalement surréaliste, improbable, qui part de son corps, qui bouge, avec des principes magiques qui inquiètent, étonnent. C’est une étrangeté qui n’est pas hermétique. Une belle initiation au cirque contemporain.
Les Soweto’s finest et les Tchado’s stars réunis dans le show African delight (dès 10 ans) vont mettre le feu à la Bourse du travail…
C’est la joie de l’Afrique ! J’ai découvert les Tchado’s stars au Tchad il y a deux ans. Ils ont vingt ans, des looks fous, mais au-delà de ça, c’est important de montrer dans la Biennale de Lyon des artistes qui ont cette pulsion de vie. Ça nous fait du bien et nous donne quelques leçons. C’est très profond d’être joyeux comme ils le sont, c’est aller loin en soi pour trouver quelque chose avec lequel on se dépasse. La danse les tient et ça m’émeut plus que tout. Ils dansent le tapa, qui mélange tout sans tabou, la danse traditionnelle, le hip-hop, l’afro-jazz, avec l’énergie du show puisque c’est une danse de divertissement qui permet de résister aux choses les plus affreuses.
Dans un registre plus engagé, Rodrigue Ousmane se sert du hip-hop pour parler d’environnement (dès 12 ans)…
C’est un très grand danseur qui pratique un hip-hop de message. En Afrique, les sacs en plastique polluent et ravagent le continent. Il nous parle de ça. Sa scénographie, d’une simplicité inouïe et complètement spectaculaire, est constituée de sacs jaunes. Comme un griot, il raconte l’histoire de ces sacs, comment il faut retrouver ses racines et le contact avec la nature, sans être misérabiliste.
Avec Opus 14 (dès 10 ans), Kader Attou va composer un ballet hip-hop dans la continuité de The Roots (voir p.15)…
Cette fois, ils sont 16 sur scène et il y a des filles. Kader chorégraphie comme un compositeur, ses danseurs sont des notes, des motifs musicaux à partir desquels il compose, sculpte dans la masse. La force de l’interprétation en hip-hop est très intéressante chez lui. C’est une danse lyrique au sens de l’interprétation, de la musicalité du mouvement, de son intention. C’est quelqu’un de très cultivé qui recherche une humanité dansante.
Tabac rouge (dès 10 ans) marque le retour de James Thierrée à Lyon avec un spectacle un peu différent des précédents…
Cette pièce repose moins sur lui puisqu’ils sont dix en tout. D’un point de vue visuel, c’est magnifique, extrêmement fort, un livre d’images puissantes. C’est une pièce charnière qui mérite d’être vue.
Vous proposez également un week-end famille…
Le dernier week-end de la Biennale, Maria Clara Villa-Lobos, Alessandro Sciarroni et Rodrigue Ousmane partageront leur imaginaire avec les enfants et leurs parents. Ils animeront, avant ou après leur spectacle, des rencontres et des ateliers.
Ceux qui ont pris goût à la danse durant la Biennale trouveront dans la programmation de la Maison de la danse des propositions très éclectiques pour le reste de l’année. De la Cendrillon néo-classique de Thierry Malandain aux nouvelles technologies de Pixel de Mourad Merzouki, en passant par l’irrésistible satire des contes de fées Barbe-Neige et les sept petits cochons au bois dormant de Laura Scozzi…
Je pense que pour initier les enfants à la danse, l’éclectisme est la meilleure chose. Il faut éduquer à toutes les potentialités artistiques et ne laisser personne sur le chemin, ni celui qui rêve d’être chevalier, ni celle qui rêve de tutus. La Biennale comme la Maison de la danse doivent tenir compte de cette incroyable diversité des goûts. Nous avons tous des émotions différentes et c’est une grande chance.