• Le film :
Sacha, une jeune aristocrate de Saint-Pétersbourg, a toujours été fascinée par son grand-père, Oloukine, aventurier passionné dont on a perdu la trace sur la route du pôle Nord.
Convaincue que les recherches ont été menées sur une mauvaise voie, Sacha décide de le retrouver elle-même.
L’histoire de cette jeune fille bien née est inédite, inventée, même si elle s’inscrit dans l’histoire de la conquête du pôle Nord, finalement et officiellement atteint en 1968 ! Mais justement, son récit est fascinant, parce qu’il mêle avec subtilité le destin d’une petite princesse russe à celui d’une aventurière.
Pour magnifier le tout, une technique très originale de dessin, à l’allure très picturale, a été imaginée par l’équipe de Rémi Chayé. Avec beaucoup d’aplats de couleurs saturées, la blonde et pâle Sacha évolue tantôt dans des palais aux façades pastel estompées par la brume, tantôt sur une banquise infinie révélée par un superbe coucher de soleil.
Héroïne déterminée et énergique, Sacha parvient à mobiliser autour d’elle une vaillante équipe de navigateurs dans une quête resserrée au maximum, qui ne faiblit jamais ni en intérêt ni en intensité.
• Interview de Rémi Chayé :
Fan de bande dessinée et collaborateur précieux de Jean-François Laguionie sur L’Ile de Black Mor ou Le Tableau, puis assistant réalisateur de Brendan et le secret de Kells, Rémi Chayé s’émancipe en signant un superbe premier long métrage, Tout en haut du monde, honoré du prix du public au Festival d’Annecy 2015. Il nous explique pourquoi il a choisi le sujet de la conquête du pôle Nord et ce graphisme très pictural pour raconter l’histoire de la jeune Sacha. Rencontre.
Est-ce par passion pour la Russie tsariste ou pour l’exploration des pôles que vous vous êtes intéressé à cette jeune aristocrate aventurière ?
Rémi Chayé : Le scénario est né d’une fulgurance créative. Quand j’ai rencontré Claire Paoletti, la scénariste, elle m’a présenté son projet ainsi : Sacha, une jeune aristocrate blonde, part à la recherche de son grand-père perdu sur la banquise. Elle pensait qu’une héroïne adolescente pouvait intéresser des enfants plus jeunes.
Est-ce ce pari qui vous a convaincu ?
J’ai foncé sur ce projet parce que l’héroïne était une fille qui n’est poussée que par sa volonté et ses valeurs, pas par ses superpouvoirs. Et c’est aussi un vrai film d’aventure qui peut plaire aux garçons !
Et fallait-il absolument qu’elle soit russe ?
Le film parle de la conquête du pôle Nord, qui n’est ni russe, ni datée de cette époque-là. Mais, pour que l’histoire soit crédible, la proximité géographique était importante, puisque Sacha quitte Saint-Pétersbourg pour un port sibérien d’où elle s’embarque pour traverser la banquise.
Vous ne donnez d’ailleurs aucune explication sur la conquête du pôle Nord qui est, en vérité, très différente de ce que vous racontez !
C’est vrai. On rectifie la véracité à la toute fin du générique, en faisant s’envoler le drapeau planté. Officiellement, le pôle Nord n’a été découvert qu’en 1968, même si pas mal d’explorateurs ont revendiqué sa conquête dès la fin du XIXe siècle, mais sans jamais en apporter de preuves tangibles.
Votre film est en français, est-ce parce que c’était la langue parlée par l’aristocratie russe de l’époque ?
Il n’a jamais été question de parler une autre langue. On s’est approprié cette Russie en utilisant les palais de Saint-Pétersbourg, leurs couleurs pastel et leurs dorures, comme symbole de l’enfance privilégiée de Sacha. C’est une enfant bien née, entourée, une petite princesse fascinée par son grand-père aventurier.
Pourtant, subitement, quand la musique arrive, les paroles sont en anglais. Pourquoi cette rupture ?
Je voulais un contre-pied musical comme le font Jim Jarmusch ou Sofia Coppola. Pas de musique russe, ni de musique d’époque ou d’épopée à l’américaine. Je rêvais d’une partition contemporaine, familière aux jeunes d’aujourd’hui. La composition de Jonathan Morali, un musicien pop folk français que j’adore, correspond très bien à ce que j’attendais.
Autre innovation, la matière graphique de votre film. Il ne s’agit ni de pastels ni de couleurs diluées, mais d’une composition originale très picturale. Qui l’a inventée ?
C’est Patrice Suau, le décorateur et peintre en animation qui avait donné sa couleur impressionniste au Jour des Corneilles ou hyperréaliste aux Lascars. Ici, il a renforcé le style pictural que j’avais imaginé en peignant au pinceau sur Photoshop. Ce qui prend un temps fou. En partant de surfaces plates et en saturant les couleurs, il parvient, comme un affichiste, à fabriquer un univers simplifié mais réaliste.
Vous prétendez pourtant que le style graphique est apparu le jour où vous avez supprimé les contours ?
C’est vrai, j’avais commencé par faire des traits, des lignes très tendues pour délimiter les personnages. Le jour où je les ai enlevés, ça a fait tilt !
Comment cela ?
Quand on dessine des personnages cernés au trait sur des décors peints, ça donne un effet plaqué. Donc, on floute les contours pour mieux les insérer. On perd alors la possibilité de jouer sur leur lumière.
Cela ne risque-t-il pas de limiter les expressions humaines ?
Je ne crois pas. C’est même un des points forts du film. Les émotions passent. Cela contraint juste les dessinateurs à travailler différemment dans certaines perspectives ou pour montrer la profondeur des gestes. On est parfois plus réaliste qu’avec des traits.
Comment avez-vous réussi à rendre expressive Sacha, une blonde au visage pâle et aux yeux clairs ?
En accrochant l’expression à son regard, c’est-à-dire à ses yeux, à ses sourcils, et à sa bouche. Liane-Cho Han, qui a supervisé l’animation, a même mis au point une technique économique, inspirée du dessin animé japonais, pour donner une expression très forte en réduisant le nombre de dessins. À l’opposé de ce que fait Disney par exemple.
Le tout début du film est d’ailleurs une sorte de diaporama…
Oui, c’est une succession de tableaux liée au souvenir et un contrat que je passe avec le spectateur, une façon de le préparer à ce qui l’attend. J’aurais pu choisir d’animer les foules, par exemple, mais la suite aurait semblé trop fade. Là, je sollicite d’emblée l’imagination du public.
La fin très ouverte du film laisse-t-elle envisager une suite ?
Ah non ! Pas pour moi !
Pourtant, tout commence… On a envie de savoir ce que Sacha va devenir, alors que la révolution russe se prépare…
On a imaginé, écrit, story-boardé plein de fins possibles, mais aucune n’était satisfaisante. Soit cela multipliait les fins et brisait le rythme de l’histoire, ce qui est un problème récurrent des dessins animés ; soit chaque fin réduisait la quête initiale de Sacha. Là, on comprend qu’elle a choisi l’humain, la vie, et en cela, elle est plus forte que son grand-père.
Quel sera votre prochain projet ?
Un film avec une héroïne encore, Calamity Jane, dont je vais présenter un premier pilote au Cartoon Movie, début mars à Lyon.
Propos recueillis par Véronique Le Bris