En choisissant comme thème le Je(u) en construction, Gérard Picot, directeur de la Fête du livre jeunesse de Villeurbanne, renoue avec les sujets poil à gratter qu’il affectionne tant. « Parce qu’ensemble on est plus forts, chaque individu doit se construire en prenant l’autre en compte », martèle ce passionné. « Notre société tend vers l’individualisme et la mise en avant de l’ego, heureusement, la venue à Villeurbanne d’auteurs animés par une certaine grandeur d’âme et les propos qu’ils transmettent interrogent fortement les enfants et les adolescents. Mon but est d’utiliser la programmation pour faire réfléchir le public. » Cette année encore, la fête donnera du grain à moudre aux visiteurs et leur transmettra une folle envie de lire. Par Blandine Dauvilaire.
Interview de Claire Cantais :
Auteure-illustratrice engagée, Claire Cantais dégomme les idées reçues et cultive l’esprit critique des jeunes lecteurs. Elle est l’invitée d’honneur de cette édition.
En quoi consiste l’exposition Coupé/collé que vous allez présenter à la MLIS ?
Elle sera composée de tas de choses. Je vais reconstituer un mur de mon atelier avec tout ce qui m’inspire. Il y aura des sérigraphies que je ne montre pas habituellement, un cabinet de curiosités avec des petits tableaux en relief mélangeant mes découpés de personnages en papier et d’autres images. J’exposerai également tous les originaux des livres qui sont sortis, pas sortis ou qui vont sortir, ainsi que les livres-sculptures réalisés avec les enfants de l’école Jules-Ferry de Villeurbanne.
Par ailleurs, j’ai préparé un grand jeu de construction sur le thème de l’identité de la ville et les enfants pourront créer une ville à partir de 155 pièces en bois qui sont modulables à l’infini. Enfin, nous allons fabriquer une monstrueuse cabane pour les monstres où l’on pourra se vautrer dans de la fourrure rose !
Parler des stéréotypes comme vous le faites dans Ni poupées ni super-héros, réalisé avec Delphine Beauvois, est-ce un moyen de faire changer le monde ?
C’est l’un des petits moyens à ma disposition. Si j’amène les enfants à ouvrir un livre, c’est déjà bien, car si ce n’est pas fait à cet âge-là, il y a peu de chances que ce soit fait adulte. Or, sans les livres, on est des proies idéales pour les idées reçues et toute la culture de masse véhiculée par les écrans. Si les enfants peuvent glaner un message dans mes livres, c’est chouette, je les invite d’ailleurs à en parler avec leurs parents comme dans Mon super-cahier d’activités antisexiste*.
Vos illustrations sont reconnaissables au premier coup d’œil, comment travaillez-vous ?
J’utilise le collage depuis toujours. À l’origine, j’étais photographe. J’ai commencé par découper des images dans des vieux magazines des années 50. J’aimais ce heurt qui peut parfois apparaître dans la juxtaposition d’images qui n’ont rien à voir. Peu à peu, je me suis affranchie des images et j’ai eu tendance à découper directement dans la masse pour avoir plus de liberté, ou alors à dessiner et redécouper mon dessin pour le coller dans un décor en papier, comme dans On n’est pas si différents*. Je n’aime pas travailler sur ordinateur.
Dans votre album On n’est pas si différents* réalisé avec Sandra Kollender, vous abordez tous les stéréotypes liés aux handicaps qui touchent les enfants et soudain, la parole se libère…
Cet album a suscité de belles réactions, certains enfants handicapés nous ont dit combien c’était important pour eux qu’on considère qu’ils avaient un truc en plus, presque un superpouvoir, et pas un truc en moins. C’est souvent par peur et non par méchanceté que les enfants n’osent pas aborder les enfants handicapés qui se retrouvent mis à l’écart. Ce livre permet de banaliser les choses en montrant qu’il y a bien plus de points communs que de différences entre eux.
Dans On n’est pas des moutons*, votre nouvel album dont Yann Fastier signe les textes, vous incitez les enfants à penser par eux-mêmes et ne pas se conformer à ce que l’on attend d’eux…
Tous les enfants n’ont pas la chance de pouvoir exercer leur esprit critique. L’idée de ce livre est d’aider chacun à sortir des traces et s’éloigner des idées reçues. Pour que le message passe, nous avons voulu que ce soit drôle, avec des clins d’œil, sans être moralisateur. Je crois que c’est un bon outil de discussion en famille.
* éditions La Ville Brûle, collection Jamais trop tôt.
Propos recueillis par Blandine Dauvilaire
Exposition Coupé / collé
> Du 14 mars au 16 avril 2016 • Maison du livre, de l’image et du son • Entrée libre.