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Lecture et préados

Publié le 18/06/2018

Affir­ma­tion de soi, entrée au collège, mirage de l’ado­les­cence à venir : les raisons ne manquent pas pour qu’entre 10 et 12 ans, les enfants changent leurs habi­tudes de lecture. Certains ne lisent plus ou peu, d’autres se foca­lisent sur un seul type de livre, ce qui peut inquié­ter les parents. Grains de Sel s’est penché sur ces compor­te­ments et, éclairé par le regard de profes­sion­nels, tente de rassu­rer les adultes un peu largués.

 

Il est loin ce temps où ce cher petit ange récla­mait qu’on lui raconte des histoires, s’im­pa­tien­tait de savoir lire puis, une fois le CP fran­chi, dévo­rait ses premiers livres entre gour­man­dise et fierté. C’est un fait : à partir de 9–10 ans, la lecture n’est plus une acti­vité évidente. Il faut dire qu’à cet âge-là, les enfants entrent dans cette période que l’on appelle la préado­les­cence et qui dure deux à trois ans. Qu’est-ce donc que cette ère nouvelle aux fron­tières mouvantes ? Selon le docteur Julie Marmo­rat, pédo­psy­chiatre au CH Vina­tier, « la préado­les­cence suit la phase de latence appa­rue à l’âge de 7ans — le fameux âge de raison — et qui dure jusqu’à envi­ron 10 ans, même si l’on constate que cette phase avance de plus en plus ». Pour Isabelle Motel-Picard, psycho­mo­tri­cienne en CMP en région lyon­naise, « la préado­les­cence est une période diffi­cile à défi­nir, coin­cée entre le temps de l’en­fance basé sur les appren­tis­sages scolaires, sociaux, amicaux, et encore centré sur la vie fami­liale, et les tumultes de la puberté et de l’op­po­si­tion propres à l’ado­les­cence qui arrive ». En s’éman­ci­pant, les enfants de cette tranche d’âge lorgnent du côté du mode de vie de leurs aînés, les adoles­cents. « Ils cherchent à se rappro­cher de cette auto­no­mie idéa­li­sée, sans s’aper­ce­voir que les ados peuvent être en souf­france. Ils les voient plus libres qu’eux », note encore Isabelle Motel-Picard.

 

Un désir d’éman­ci­pa­tion et un besoin d’iden­ti­fi­ca­tion

Cette envie d’autre chose, d’éman­ci­pa­tion, se joue aussi dans le rapport qu’en­tre­tiennent les préados avec la litté­ra­ture. Ils quittent le moment de pure décou­verte pour aller tester des univers qui leur corres­pondent davan­tage, avec des person­nages auxquels ils peuvent s’iden­ti­fier. Les maisons d’édi­tion jeunesse ne s’y sont pas trom­pées. D’abord un peu débous­so­lées vis-à-vis de ce public préado­les­cent, elles ont toutes créé, ces dix dernières années, des collec­tions spécia­le­ment dédiées aux 9–12 ans. « C’est ce qu’on nomme aujourd’­hui le roman junior », précise Cédric Chaf­fard de la librai­rie jeunesse À Titre d’aile, située dans le 1er arron­dis­se­ment de Lyon. Il se distingue de l’al­bum pour les plus jeunes et du roman pour ados, à la fois par la forme et par le fond, pour séduire « aussi bien un bon lecteur de 9 ans qu’un élève de cinquième pas encore très à l’aise dans le fait de lire tout seul. » On note dans ces romans une forte présence encore du dessin, de l’hu­mour et surtout du contenu avec un texte qui, s’il est plus dense qu’a­vant, est présenté de manière aérée dans la page. Du côté des thèmes abor­dés, « on quitte la sphère de la famille et de l’école pour aller vers le groupe de copains, précise Cédric Chaf­fard. Cela donne des romans de clans dans lesquels une bande d’amis, de cousins etc. va vivre des aven­tures de manière indé­pen­dante. » On remarque aussi que, dans cette offre édito­riale, se raré­fient les histoires dont les héros sont des animaux : « On est face à des person­nages humains, évoluant dans des contextes proches du quoti­dien des enfants ciblés, ce qui favo­rise d’au­tant plus le phéno­mène d’iden­ti­fi­ca­tion », souligne le libraire.

Du point de vue des ensei­gnants, c’est le récit d’aven­tures qui prend le dessus chez les enfants, au moins à l’école élémen­taire. « Il faut qu’il se passe quelque chose et si possible que ça soit drôle, confirme Nolwenn Benoît, insti­tu­trice en CM1/CM2 à l’école Robert Dois­neau (Lyon 1er). Les filles aiment bien aussi voir une héroïne dans le livre. Seuls les enfants un peu plus mûrs vont appré­cier les histoires qui traitent de l’ac­tua­lité, comme la situa­tion des réfu­giés ou les problèmes clima­tiques. » D’ailleurs, à partir de la 6e , « les élèves laissent tomber les seuls récits d’aven­ture pour aller vers des textes à partir desquels ils vont pouvoir nour­rir une réflexion », note Fabienne Decor­saire, profes­seure de français au collège La Tourette à la Croix-Rousse. « Pour ceux qui font déjà preuve de matu­rité, L’Odys­sée est un livre qui fonc­tionne très bien car il comporte à la fois la mytho­lo­gie qui les passionne et l’aven­ture. Ils font le lien avec des choses dont ils ont entendu parler plus jeunes, et ça fait l’ef­fet d’une révé­la­tion, c’est assez magique! »

Le libraire Cédric Chaf­fard constate tout de même une déper­di­tion de l’ac­ti­vité de la lecture entre la fin de l’école élémen­taire « où l’on peut voir des enfants surpre­nants dans leur capa­cité à lire » et l’en­trée au collège. Plusieurs raisons à cela : outre la puberté qui commence à les titiller, la décou­verte d’un nouvel univers avec une orga­ni­sa­tion à trou­ver et à maîtri­ser mono­po­lise pas mal les enfants, au moins dans un premier temps. Comme l’in­dique Fabienne Decor­saire : « Ceux qui lisent en 6e sont des élèves auto­nomes. » Mais le livre peut aussi avoir valeur de refuge face à la révo­lu­tion que repré­sente l’en­trée au collège, comme l’évoque Cédric Chaf­fard : « Ceux qui conti­nuent à lire malgré tout sont ceux qui consi­dèrent le livre comme un objet fétiche, quelque chose qui leur est indis­pen­sable. »

Cet éloi­gne­ment vis-à-vis du livre s’ex­plique aussi par la pres­crip­tion scolaire, bien plus forte au collège qu’en élémen­taire, avec des œuvres impo­sées au programme. Pour compen­ser, certains profes­seurs de français proposent en paral­lèle des textes obli­ga­toires, une sélec­tion de titres emprun­tés à la litté­ra­ture jeunesse parmi lesquels les élèves devront en choi­sir au moins un à lire dans l’an­née.

 

La néces­sité d’être accom­pa­gnés

Car les ensei­gnants jouent, en matière de litté­ra­ture, un impor­tant rôle d’éclai­reur auprès de leurs élèves qui, à cet âge, commencent à affir­mer leur person­na­lité et leurs goûts et, par consé­quent, n’écoutent plus que très rare­ment les pres­crip­tions de leurs parents. Il n’est pas rare d’en­tendre encore de la bouche de son enfant, même âgé de 9 ans, le fameux « La maîtresse a dit… »! L’ins­ti­tu­trice Nolwenn Benoît endosse ce rôle de réfé­rente avec enthou­siasme et ferveur : « Je dois leur donner le goût de la lecture en essayant de les emme­ner vers ce qu’ils ne connaissent pas forcé­ment. » Pour cela, elle accorde une impor­tance primor­diale à la lecture à voix haute, non seule­ment de la part des élèves mais aussi de l’ins­ti­tu­teur : « On ne peut pas nier les écarts de niveau scolaire et les diffé­rences socio­lo­giques. Certains élèves n’ont pas les réfé­rences cultu­relles pour appré­hen­der toutes les histoires. Or, lorsque le maître lit à voix haute, tous les enfants sont au même niveau. » Elle conseille d’ailleurs aux parents de faire la même chose à la maison : « En leur lisant le premier chapitre d’un livre, ils auront peut-être davan­tage envie de décou­vrir la suite. »

Au collège, cette lecture à voix haute dispa­raît, ce que déplore Fabienne Decor­saire car « un quart des élèves de 6e sont en diffi­culté de lecture ».

 

La lecture mono­ma­niaque : les séries et les mangas

Si certains parents s’inquiètent de ne plus voir lire leurs préados, d’autres s’in­ter­rogent sur le compor­te­ment de lecteur compul­sif apparu chez les leurs. « Lorsqu’elle a décou­vert la série La Guerre des clans, se souvient Natha­lie, ma fille Elsa ne lisait plus que cela. Elle guet­tait avec impa­tience la sortie du prochain tome et reli­sait tous les anciens en atten­dant. Je pensais qu’elle ne passe­rait jamais à autre chose ! » Ce compor­te­ment mono­ma­niaque — qui, avouons-le, fait forte­ment penser à celui des adultes vis-à-vis des séries télé­vi­sées — n’est pas alar­mant pour Cédric Chaf­fard : « Ces grandes séries, comme La Guerre des clans, Royaume de feu ou Animal Tatoo, ont l’avan­tage de faire lire des enfants qui, sans cela, ne seraient pas rentrés dans la lecture. Ils sont dans le plai­sir de lire, certes répé­ti­tif, mais j’ai tendance à dire qu’il n’y pas de mauvaise lecture. Un gamin qui ouvre un livre c’est autant de choses gagnées pour plus tard parce qu’il prend des habi­tudes et se crée des envies. » Un avis partagé par la profes­seure de français Fabienne Decor­saire : « Tout ce qui les fait lire leur fait décou­vrir le plai­sir de la lecture. Peu importe la qualité du premier livre. »

Cela dit, les profes­sion­nels inter­ro­gés dans le cadre de ce dossier émettent une opinion miti­gée vis-à-vis des mangas de plus en plus appré­ciés et dévo­rés par les préados qui se les échangent d’un cartable à l’autre. « Il y a certes la volonté de faire partie d’un ensemble, de vivre une expé­rience commune, analyse Fabienne Decor­saire, mais l’uni­vers des mangas est réduit et réduc­teur et je ne les étudie­rai jamais en classe. » Pour la pédo­psy­chiatre Julie Marmo­rat, « la lecture ouvre à la pensée, une pensée créa­tive qui vaga­bonde. Or, les mangas empêchent les enfants de penser. Au contraire, ils hyper stimulent dans une immé­dia­teté proche de celle des dessins animés. » Les parents sont eux-mêmes souvent rebu­tés par l’uni­vers spécial de ces petits livres venus du Japon, aux dessins souvent agres­sifs à force d’être constam­ment dyna­miques et qui véhi­culent une image bien stéréo­ty­pée du person­nage fémi­nin, tous seins et petite culotte dehors. « Une repré­sen­ta­tion typique­ment japo­naise au cœur des “shonen”, ces mangas d’ac­tion spécia­le­ment dédiés aux préados », explique Cédric Chaf­fard qui recon­naît que, dans ce domaine, « c’est comme en BD, il y a du bien et du pire ! » Tâchant néan­moins de répondre à la demande de ses jeunes clients, il propose un rayon de mangas sélec­tion­nés (c’est-à-dire qu’il les a tous lus avant de les conseiller !). Et il a une tactique pour leur ouvrir d’autres hori­zons plus quali­ta­tifs : « J’ai quelques produits d’ap­pel comme Fairy Tale, One Piece ou Naruto que tous les jeunes amateurs du genre connaissent mais aussi d’autres mangas qui ne parlent pas que de combats et de sorciers. Par exemple, Hino­maru Sumo traite du sumo­tori au Japon, c’est comme un roman d’ap­pren­tis­sage. » Une façon intel­li­gente de se servir de cette passion du manga pour trans­mettre des messages et faire acqué­rir de nouveaux savoirs aux enfants.

 

Lire pour s’af­fir­mer

Et si c’était cela, la solu­tion ? Accep­ter les goûts diffé­rents de nos enfants tout en conti­nuant à leur présen­ter d’autres choses au sein même de leur domaine d’ap­pé­tence. C’est ce qu’af­firme la pédo­psy­chiatre Julie Marmo­rat : « Il est impor­tant pour les parents, de ne pas déva­lo­ri­ser les goûts, les passions de leurs enfants. Il faut être en capa­cité de tolé­rer des choses qu’on ne maîtrise pas. » Elle va plus loin en poin­tant deux gros écueils à éviter : « Fermer la rela­tion en s’op­po­sant aux goûts de son enfant, en se montrant into­lé­rant, ou au contraire les vali­der entiè­re­ment sans marquer de distance. Car, tout en restant en lien avec ses parents, l’en­fant a besoin de diffé­rences géné­ra­tion­nelles pour bien gran­dir. » Ainsi donc, ces centres d’in­té­rêt, ces passions, doivent rester « le truc » de ces préados qui se cherchent et se construisent, à distance de leurs aînés. L’en­sei­gnante Nolwenn Benoît raconte une jolie anec­dote à ce sujet : « L’an dernier, l’un de mes meilleurs élèves a fait un très bel exposé sur les mangas dont il était passionné. Je crois que, outre leur esthé­tique qui lui plai­sait beau­coup, ces mangas répon­daient au besoin qu’il avait de se créer un monde à lui dans sa tête. » L’en­fant érige ainsi sa propre culture et il est sain d’ad­mettre qu’elle soit diffé­rente de la nôtre, nous les adultes, nous les parents, afin de lais­ser nos petits prendre leur envol. Comme le dit le docteur Julie Marmo­rat : « Toutes les géné­ra­tions ont besoin de s’in­ven­ter. »

Anne de Lagonde

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