En devenant parents, certaines personnes décident de quitter la ville pour s’installer en périphérie lyonnaise. À la campagne, dira-t-on pour résumer, mais pas “en pleine cambrousse”, car ces villages situés à une trentaine de kilomètres de Lyon ont su se doter d’écoles, commerces, médecins etc. pour accueillir les citadins de plus en plus nombreux à venir y habiter. À l’image des deux familles que nous avons rencontrées.
À 20 kilomètres de Lyon : La Tour de Salvagny
Delphine et Jean-Charles sont de vrais citadins. Lui a grandi à Lyon et Villeurbanne, mais n’a jamais été fan de l’agitation permanente du centre-ville. Elle, a adopté la ville depuis ses 17 ans, après une enfance à la campagne, à Genas. Devenus parents de Sarah et Achille, ils se prennent à rêver de verdure pour leur progéniture. Il y a cinq ans, quelques mois avant qu’Edgar, le petit dernier, ne pointe le bout de son nez, le couple se met en tête d’acheter une maison avec jardin.
“On habitait alors à Monplaisir depuis douze ans, explique Delphine, quartier qu’on appréciait pour son côté village, vivant, avec plein de commerces, une fête foraine, une patinoire…” La petite famille vit au premier étage d’un immeuble donnant sur la très passante rue des Frères Lumières et râle de ne pas pouvoir profiter du grand balcon. Les virées au parc le dimanche, ils en ont fait le tour. Après s’être heurtés au prix exorbitant des maisons avec jardin, ils élargissent les recherches.
Quitter Lyon
Le père de jean-Charles habite l’ouest lyonnais, à Dommartin. Chaque hiver, depuis dix ans, ils se rendent au marché de Noël de la Tour-de-Salvagny. C’est dans ce village de 4 000 habitants, à vingt minutes en tram de Lyon, qu’ils dénichent un terrain de plus de 700 m2 à l’été 2015. Deux ans plus tard, après quelques mésaventures au niveau de la construction, et plusieurs mois de retard dans la livraison – qui les obligent à squatter chez le grand-père –, la petite famille prend enfin possession des lieux. Delphine a fait les démarches en amont pour les inscriptions à l’école et a trouvé une place en crèche.
Un rêve d’enfance se réalise pour Jean-Charles : “Je me suis toujours imaginé les enfants sautant dans la piscine et courant dans le jardin. Je voulais qu’ils puissent faire du vélo, jouer au foot… en ouvrant simplement la porte. Le timing est idéal pour Sarah, l’aînée, qui entre alors en sixième, au collège de Lentilly, à quelques minutes en bus : “Au début j’avais peur de me retrouver seule, mais il y avait d’autres élèves dans mon cas, et très vite je me suis liée avec un groupe de filles qui se connaissaient déjà. Maintenant j’ai mes amies d’avant et celles du collège !”. Pour Achille, qui entrait en CE2, l’adaptation a été plus compliquée : il a fallu du temps au cadet de la fratrie pour se défaire du surnom “le nouveau”. Heureusement, s’illustrer au club de foot du coin lui a permis de se faire des copains.
Baskets contre chaussons de danse
Sarah a tout de même dû sacrifier sa passion pour la danse contemporaine en abandonnant le Conservatoire, un an après avoir passé le concours avec succès. “Avec maman, on a testé le trajet de l’école à Fourvière en bus, tram puis métro… c’était trop long et je ne me voyais pas le faire seule l’hiver.” Elle a fini par troquer, sans grand regret, ses chaussons contre des baskets, pour pratiquer l’athlétisme au grand air.
Et l’ado de la tribu a eu gain de cause pour le chien : O’Malley, un King Charles malicieux adopté dans un élevage voisin. Quant à Edgar, il vient de terminer sa première année de maternelle dans une école refaite à neuf, entourée d’arbres, et il se régale à conduire son quad électrique dans l’allée du lotissement. Delphine, qui a demandé sa mutation pour raccourcir son temps de trajet, est celle qui a mis le plus de temps à apprécier ce changement de décor : plus de lèche-vitrines en rentrant du boulot, pas de club de sport répondant à ses attentes et une proximité avec le voisinage à laquelle elle ne s’attendait pas en s’installant à la campagne… Pour autant, elle ne se voyait pas habiter en maison isolée. “Vivre dans un lotissement, c’est rassurant.”
Vacances perpétuelles
Parfaitement épanouie dans sa maison de 130 m2, la petite famille a l’impression d’être tout le temps en vacances. “Dès qu’il y a un rayon de soleil on vit dehors. On a même démarré les barbecues en février cette année”, raconte Jean-Charles en nettoyant sa piscine, verre de vin à la main. De leur propre aveu, il manque bien quelques boutiques au centre du village, un chausseur pour enfants et un poissonnier par exemple, ainsi qu’une médiathèque et un cinéma, mais ils n’envisagent pas de retourner en ville.
“On peut toujours aller au musée des Confluences lorsqu’on dort chez ma tante”, ajoute Sarah, qui n’échangerait pour rien au monde la traditionnelle balade en famille le dimanche soir, près du champ où paissent des dizaines chevaux, contre une virée shopping dans le 8e arrondissement.
À 35 kilomètres de Lyon : Fareins
C’est avec des enfants plus jeunes, trois garçons de 7 et 4 ans, que Pierre et Isabelle se sont installés à Fareins, petite commune de l’Ain située à 7 kilomètres de Villefranche-sur-Saône. Après avoir poussé le portail, on découvre une piscine aux proportions idéales pour des tout-petits, des rosiers grimpants, un carré de pelouse et une belle bâtisse du XIXe siècle fraîchement ravalée. “On l’a achetée en l’état et on la remet petit à petit à notre goût. Cet été, on va casser un mur de la cuisine pour l’ouvrir sur le salon, histoire de gagner de l’espace” annonce Pierre. Lui travaille en plein centre de Lyon, sa femme Isabelle, à Anse, à 15 minutes en voiture de chez eux. “Pour moi, c’est génial ! s’exclame-t-elle. Quand on habitait la Croix-Rousse, je faisais 40 à 45 minutes de trajet matin et soir.”
Pierre complète : “Fareins, c’était le bon compromis entre nos deux jobs. Il fallait qu’on ne passe pas trop de temps dans les transports, qu’on ait un peu de verdure, une qualité de vie…” C’est lui qui fait désormais le plus long trajet pour aller travailler. En semaine, le couple se lève à 5h30 pour avoir le temps de déjeuner avant le réveil des enfants. Puis Pierre se charge de les emmener à la garderie de l’école, “pas tous les matins, car ils y vont déjà le soir”. S’il l’a d’abord fait en vélo, il a rapidement pris le pli local : conduire les enfants en voiture… dans l’idée d’attraper à temps son train à Anse, où il se gare au parking-relais. Au bout de 18 minutes, il arrive à Vaise. “Il y a des trains toutes les 25 minutes, mais les horaires n’étant pas très fiables, je prends ma voiture si j’ai quelque chose d’important le soir. Mais en deux ans, je ne me suis jamais dit que c’était trop compliqué ou trop loin”, affirme Pierre.
Calmer le jeu
Pierre et Isabelle n’en sont pas à leur coup d’essai en matière de maison à la campagne. Alors qu’elle était enceinte de leur fils aîné et qu’ils habitaient un appartement sur les quais de Saône, le couple a acheté une petite maison de bourg à Saint-Symphorien -d’Ozon. “À Lyon, on n’avait ni terrasse, ni balcon, on cramait l’été. On voulait respirer. Et puis, quand on a des enfants, on pense que leur qualité de vie passe par le fait d’avoir un jardin”, explique Pierre.
Deux ans après, ils revendent la maison devenue trop petite pour accueillir leurs jumeaux. Retour sur Lyon, “en transition”, dans un appartement à la Croix-Rousse. Ils s’y plaisent beaucoup, mais les enfants grandissant, la place finit par manquer là aussi. “Avec trois petits en bas âge, à dix heures du matin, la pression commence à monter et tu files au parc, sourit Isabelle. Le couple s’inquiète aussi de la gêne éventuelle vis-à-vis des voisins : “Je craignais que les sauts des enfants sur le parquet les dérange, se souvient Pierre. Mais à un moment, tu en as assez de les brider. Mon rêve, c’était d’avoir une porte-fenêtre et de leur dire : allez-y, sortez et profitez !”
Des portes-fenêtres, Pierre et Isabelle en ont deux à présent, une dans le salon, une autre dans la cuisine, leur permettant de libérer leurs garçons dans le jardin, où ils peuvent entamer une partie de foot, lancer un ballon dans le panier de basket ou jouer au baby-foot sous le préau de la grange. La pression est retombée : “Le week-end, on n’a plus besoin de préparer tout le monde pour sortir, on ouvre simplement la porte et on prend notre petit-déjeuner tranquille. On a calmé le jeu et c’est plaisant”, constate Isabelle.
Le choix d’une commune dynamique
Le succès de cette nouvelle vie tient beaucoup au village choisi. “On ne le connaissait pas avant de visiter la maison. L’un de nos critères était de pouvoir aller chercher le pain à pied”, indique Isabelle. “On n’aurait pas voulu habiter en pleine cambrousse, ajoute Pierre. On cherchait une vie de village, avec une école, des commerces, un médecin, un ostéo…” Leur vie sociale n’a d’ailleurs pas pâti de ce déménagement : “On a très vite rencontré les parents des copains des enfants et on invite plus facilement chez nous parce qu’on n’a plus de problème de place”.
Le fait que Pierre se soit investi dans l’association des parents d’élèves a sans doute aidé. Il n’en revient pas de la multiplicité des activités proposées aux enfants, que ce soit après l’école ou le mercredi. Ce jour-là, une fois les garçons déposés à la garderie avec un pique-nique, ils sont emmenés à leurs activités sportives ou artistiques “pour 20 euros la journée”.
À l’école, c’est moins idyllique. Du moins en Maternelle, où les effectifs grimpent jusqu’à 33 élèves par classe. Une demande d’ouverture de classe est en cours de négociation avec le rectorat. “Ca construit beaucoup dans le village pour accueillir de nouvelles familles, il faut que l’école suive”, constate Pierre.
Et les enfants, aiment-ils vivre à la campagne? “Finalement c’est avant tout pour eux qu’on est venus ici, avec un jardin, de l’espace, chacun leur chambre. Ils s’éclatent, mais ils disent aussi que dans l’ascenseur à Lyon, avec les voisins, c’était bien !”, sourit Isabelle. Qualifié de “vrai citadin” par sa mère, l’aîné a gardé des amis de son école à la Croix-Rousse, si bien que ses parents lui organisent deux anniversaire, l’un avec ses copains d’ici, l’autre avec les Lyonnais.
Pierre et Isabelle se voient-ils rester à Fareins ? Isabelle admet que l’âge des enfants joue beaucoup : “Je pense que notre projet tient jusqu’au CM2 ! Quand ils seront ados, on se rapprochera sans doute de Lyon.” Ouf, tout le monde a encore quatre ans pour profiter de cette vie au vert.
Par Clarisse Bioud et Gaëlle Guitard • Illustrations de Tiphaine de Cointet