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L’en­ga­ge­ment citoyen à hauteur d’en­fant

Publié le 04/03/2020

À moins d’avoir passé les derniers mois sur Mars, il ne vous a pas échappé que les élec­tions muni­ci­pales et métro­po­li­taines ont lieu ce mois-ci. À l’heure où nous allons élire nos prochains édiles, Grains de Sel a inter­rogé la notion d’en­ga­ge­ment citoyen à hauteur d’en­fants, pour connaître leur capa­cité à s’in­ves­tir dans la vie de leur école, leur collège et même leur ville. 

Conseil des enfants, conseil de vie collé­gienne, conseil muni­ci­pal ou d’ar­ron­dis­se­ment des enfants : autant d’ins­tances compo­sées d’en­fants, qui accom­pa­gnés d’adultes profes­sion­nels, sont en mesure de faire des propo­si­tions et de mener des projets pour chan­ger la donne au sein de leur établis­se­ment scolaire ou de leur ville. Ils peuvent inter­ve­nir sur des sujets qui les concernent direc­te­ment, comme un aména­ge­ment de la cour d’école, mais aussi agir pour les autres, dans les domaines de la soli­da­rité ou de l’éco­lo­gie. Grains de Sel a étudié le fonc­tion­ne­ment de ces instances où les enfants prennent les choses en main.

Le conseil des enfants

Si quelques écoles pratiquaient déjà le conseil des enfants, la circu­laire du 23 juin 2016 est venue solli­ci­ter leur déve­lop­pe­ment, dans le cadre du parcours citoyen qui encou­rage l’élève à s’im­pliquer dans la vie de son établis­se­ment – et à l’ex­té­rieur – tout au long de sa scola­rité.

À l’Élé­men­taire Anatole-France, à Vaulx-en-Velin, le conseil des enfants existe depuis belle lurette, puisque son projet éduca­tif repose sur la péda­go­gie Frei­net. Une péda­go­gie alter­na­tive qui, consi­dé­rant que « l’en­fant est de même consti­tu­tion que l’adulte, lui donne la parole », résume la direc­trice Maud Colin. Chaque semaine, le « petit conseil » a lieu dans chaque classe, avant que le « grand conseil » se réunisse par cycle 1 (tous les CP-CE1) et 2 (les CE2-CM1-CM2)*, enca­drés par les ensei­gnants.

« Le conseil est une instance où tous les enfants sont repré­sen­tés, un lieu bien­veillant qui permet de régler les rela­tions entre eux, de présen­ter des projets de classe et de discu­ter de la vie commune en faisant des propo­si­tions », explique Maud Colin. Une sorte d’as­sem­blée géné­rale dont les enfants sont partie prenante, avec un président, un secré­taire et un donneur de parole élus par leurs cama­rades. Il se déroule selon un ordre du jour qui pose « un cadre ritua­lisé donc sécu­ri­sant. »

Tous les élèves sont assis en cercle et en silence. Si quelqu’un dérange la séance, le secré­taire le sanc­tionne d’une « gêne », dont une accu­mu­la­tion entraîne l’ex­clu­sion. Le président ouvre le conseil avec les « critiques » : un élève prend le micro pour, par exemple, repro­cher aux suppor­ters du match de foot d’avoir fait tomber son manteau. Le président rappelle la règle – « Quand ce n’est pas notre habit, on ne le touche pas  » –, puis somme les suppor­ters de s’ex­cu­ser et s’as­sure que l’élève est satis­fait.

Souvent, l’en­fant qui voulait en critiquer un autre, décline fina­le­ment le micro. « Le simple fait de dire “Je critique” peut faire retom­ber la colère. Du coup, quand l’élève a la parole, il comprend que c’est réglé pour lui », explique Maud Colin. Viennent ensuite les « féli­ci­ta­tions », sortes de remer­cie­ments. Des élèves défilent au micro pour féli­ci­ter untel d’être son ami, de jouer avec lui ou de l’avoir aidé. « Cela peut paraître bizarre, note Maud Colin, mais c’est très impor­tant pour eux. »

Il y a aussi une logique à ce que ces décla­ra­tions publiques d’ami­tié arrivent après les critiques : « On peut critiquer l’ac­tion d’un­tel mais le féli­ci­ter pour autre chose. Cela permet de critiquer l’acte, pas la personne ». Le président enchaîne avec les propo­si­tions émanant de telle ou telle classe. C’est l’un des grands atouts du conseil, qui est aussi un lieu de déci­sion : « Je dis souvent aux enfants que je ne suis pas à leur place, qu’ils vivent des choses dont je n’ai pas connais­sance. »

L’en­sei­gnante les aide donc à formu­ler leurs propo­si­tions, qui « ne sont pas des choses énormes, mais des petits trucs qui régulent leur vie et lui donnent du sens. » Après la présen­ta­tion de projets de classe, le conseil se termine par les « Je veux dire » permet­tant à l’élève d’évoquer un fait géné­ral qui l’a agacé, mais sans qu’il ne vise une personne en parti­cu­lier.

Cette forme de démo­cra­tie parti­ci­pa­tive prend plus de temps que la voie tradi­tion­nelle où les adultes décident de tout. Mais sur la durée, Maud Colin et son équipe en mesurent les béné­fices. La limite de l’exer­cice, selon elle, serait de faire semblant : « Si une propo­si­tion va au bout, je m’en­gage à la mettre en place, sinon elle meurt, et c’est pire que tout pour les enfants ». Des enfants qui s’épa­nouissent grâce au conseil. Leur pensée se struc­ture : « Ils doivent comprendre ce qu’ils ressentent et voir comment l’ex­pri­mer de manière compré­hen­sible devant les autres ». Ils apprennent à argu­men­ter : « Ils ne peuvent pas simple­ment dire non à une propo­si­tion, mais expliquer pourquoi ». Enfin, leurs rela­tions se régulent : « Si on est une école plutôt apai­sée, c’est parce que le conseil existe ».

© Laurie Croissy

Le conseil de vie collé­gienne

La fameuse circu­laire du 23 juin 2016 a égale­ment créé le conseil de vie collé­gienne (CVC), sur le modèle de celui qui existe au lycée depuis une ving­taine d’an­nées. Obli­ga­toire, le CVC est à la charge du conseiller prin­ci­pal d’édu­ca­tion (CPE), mais repose sur la moti­va­tion des élèves à s’y présen­ter : il n’existe donc pas encore dans tous les collèges.

Mais à Jean-Moulin (Lyon 5e), c’est bel et bien le cas, et Alain Debard, profes­seur d’his­toire-géogra­phie, s’est immé­dia­te­ment porté volon­taire pour l’en­ca­drer : « C’est cette idée d’en­ga­ge­ment qui m’a donné envie d’être prof d’his­toire-géo. Mais ce qui me plaît au CVC, c’est juste­ment de ne pas être là comme ensei­gnant mais comme conseiller auprès des élèves qui prennent en charge des projets ». Comme les autres élec­tions scolaires (délé­gués de classe, parents d’élè­ves…), celle des repré­sen­tants du CVC se tient début octobre, lors de la 7e semaine après la rentrée, « la semaine de la démo­cra­tie ».

Au cours des jours qui la précèdent, les volon­taires déposent leur candi­da­ture en binôme, construisent leur programme et mènent campagne, aidés par Alain Debard et Maggy Anfray, la CPE en charge du conseil. Les candi­dats ne sont pas forcé­ment délé­gués de classe : « On leur conseille de ne pas cumu­ler les fonc­tions, car elles ne sont pas du tout les mêmes, et celles du CVC sont assez lourdes », indique Alain Debard. Deux binômes par niveau sont élus pour former un conseil de 24 élèves.

Peut-on iden­ti­fier un profil d’élu ? Ce ne sont en tout cas « pas forcé­ment des premiers de la classe, mais surtout des élèves ayant déjà une certaine confiance en eux, et de l’as­su­rance pour s’ex­pri­mer devant les autres  », note Maggy Anfray. « En 6e notam­ment, certains viennent par curio­sité, souvent pous­sés par un binôme plus à l’aise qu’eux », complète Alain Debard. Tous deux constatent une surre­pré­sen­ta­tion des filles, « sans doute plus matures que les garçons, au moins en début de collège ».

Une fois élus, les binômes se répar­tissent par commis­sions qui « datent de la créa­tion du CVC et ont été choi­sies en accord avec les élèves : festi­vi­tés pour orga­ni­ser le carna­val, le bal de fin d’an­née, sport pour créer des tour­nois de foot, aména­ge­ment pour instal­ler un parking à vélos… » Trois théma­tiques qui les concernent direc­te­ment, mais auxquelles s’ajoute celle de la soli­da­rité impul­sée par les adultes : « On a notam­ment mené le projet “Sac à dos” qui permet de récol­ter des produits de première néces­sité à redis­tri­buer aux sans-abri ».

Ces commis­sions se tiennent chaque jour, pendant la pause méri­dienne. Fait notable : les élèves s’y réunissent entre eux, sans les adultes, dans une salle située à côté du bureau de la CPE et dont la porte reste ouverte : « Ils viennent me solli­ci­ter si besoin ». S’ils n’im­posent rien aux élèves, les adultes peuvent faire des sugges­tions, poser des limites et les « confron­ter à une certaine réalité, comme celle du temps que prend un projet à monter ». Ce fut le cas du foyer des élèves, ouvert l’an dernier à l’ini­tia­tive du CVC. Suzanne, élève de 3e, l’ad­met aujourd’­hui : « On n’avait pas réalisé que ce serait si long, entre la pein­ture et l’amé­na­ge­ment ». Cela dit, le CVC parvient à prendre en charge à 100 % des projets aupa­ra­vant gérés par l’équipe éduca­tive, comme le carna­val par exemple.

Le CVC confère à ses élus un statut parti­cu­lier : « J’aime faire l’in­ter­mé­diaire entre les élèves et les adultes », confie Suzanne. Quant à Jeanne, en 6e, elle appré­cie « que les autres puissent comp­ter sur elle ». En outre, le CVC dessine un autre lien entre les élèves et l’équipe éduca­tive, comme le résume Ninon, en 3e : « Habi­tuel­le­ment quand les agents d’édu­ca­tion connaissent ton prénom, c’est que tu as fait quelque chose de mal. Nous, c’est tout le contraire ». Ce que confirme Maggy Anfray : « Je suis épatée par leur sens pratique et leur impli­ca­tion. Le CVC, c’est ma bouf­fée d’oxy­gène ! »

© Laurie Croissy

Le conseil d’ar­ron­dis­se­ment des enfants

Il n’y a pas qu’à l’école que les enfants se frottent à la pratique démo­cra­tique. à la mairie aussi, dans le cadre du conseil muni­ci­pal des enfants. Cette instance initiée dans les années 1960–1970, s’est déve­lop­pée au cours des années 1990. La métro­pole en dénombre à Vénis­sieux, Bron ou encore Oullins. À Lyon, aussi surpre­nant que cela puisse paraître, il n’en existe qu’un, dans le 1er arron­dis­se­ment. Sa mise en place offi­cielle date du 6 janvier 2015, lors du 3e mandat de la maire Natha­lie Perrin-Gilbert.

Mais l’idée remonte à 2013 : « C’était l’époque de la loi du Mariage pour tous et j’écou­tais beau­coup les débats de l’As­sem­blée. Mes enfants alors âgés de 7 et 10 ans se sont mis à écou­ter aussi et ils ont posé des ques­tions, ont cher­ché à comprendre, avec des remarques pleines de bon sens. Il se passait quelque chose du côté de leur enga­ge­ment », se souvient Fatima Berra­ched, qui allait deve­nir adjointe à la petite enfance et l’édu­ca­tion.

Pour instau­rer le conseil d’ar­ron­dis­se­ment des enfants (CAE), l’équipe muni­ci­pale a décidé que tous les élèves de CM1 et CM2 scola­ri­sés dans le 1er, pouvaient s’y présen­ter pour un mandat de deux ans. Fatima Berra­ched a visité les écoles concer­nées : « Je revois encore les yeux des enfants quand je passais mon écharpe d’élue. Je leur disais qu’elle symbo­li­sait la confiance qu’on m’avait donnée, et que les élus au CAE la porte­raient aussi  ».

Actuel­le­ment en 6e, Zélie était en CM2 à l’école des Tables- Clau­diennes lorsqu’elle a eu connais­sance du CAE : « Je trou­vais super de pouvoir agir, en tant qu’en­fant, dans notre arron­dis­se­ment. J’ha­bite à côté du collège Maurice-Sève qui abrite des réfu­giés. Avec mon amie Amalia, on voulait porter ce sujet à la mairie ». Les élèves voulant se présen­ter ont consti­tué des binômes et fait campagne.

« Je leur ai imposé la parité filles-garçons, précise Fatima Berra­ched. Et j’ai beau­coup insisté sur le mandat que leurs cama­rades allaient leur donner pour les repré­sen­ter. D’ailleurs ils devraient leur resti­tuer ce qui serait décidé en conseil ». Zélie et Amalia ont été élues : « On n’en reve­nait pas : on allait voir la maire et agir pour le conseil !  »

Le nouveau CAE a dû choi­sir son nom, en hommage à un homme ou une femme dont l’en­ga­ge­ment citoyen a marqué l’His­toire. Après Jean Moulin et Anne Frank, la promo­tion 2018–2020 porte celui de Martin Luther King. Il a aussi déter­miné trois théma­tiques de travail. Outre « Soli­da­rité et gaspillage alimen­taire » impo­sée par l’équipe muni­ci­pale à la créa­tion du CAE, il a choisi les théma­tiques « Écolo­gie et lutte contre la pollu­tion » et « Espaces publics ».

Pour défi­nir les projets à mener et débattre entre eux, les enfants sont enca­drés par l’as­so­cia­tion Lyon à double sens, qui les aide aussi à cher­cher des infor­ma­tions et pous­ser plus loin leur réflexion. Elle les emmène égale­ment rencon­trer des asso­cia­tions qui les renseignent sur des actions concrètes à mener.

Zélie a choisi d’in­té­grer la commis­sion Écolo­gie, avec le projet de « fabriquer un petit écosys­tème. On a obtenu un terrain à côté de l’am­phi­théâtre des Trois Gaules sur lequel on va repro­duire les condi­tions idéales de vie pour les animaux ». Fière de voir aujourd’­hui ce projet en voie de concré­ti­sa­tion, elle réalise aussi le temps que cela a pris : « La première année, on a beau­coup débattu. Au début, on voulait amener nous-mêmes des animaux sur le terrain, mais l’as­so­cia­tion Des espèces parmi Lyon nous a dit qu’ils vien­draient natu­rel­le­ment si l’en­droit leur était propice ».

© Laurie Croissy

Le CAE se réunit deux heures un mercredi par mois (hors vacances scolaires). Et deux same­dis par an, il resti­tue son travail auprès des élus et du public. Travailler en groupe, expri­mer ses idées, convaincre, écou­ter, parler en public : autant de compé­tences déve­lop­pées au CAE qui seront précieuses aux enfants pendant leur scola­rité et même après. « Si certains sont élus plus tard à la Ville de Lyon, je pense qu’ils auront un regard diffé­rent », estime Fatima Berra­ched.

Preuve en est leur dernière inter­ven­tion au conseil terri­to­rial. Appelé à venir poser une ques­tion, le CAE a choisi de parler des migrants, ce sujet auquel Zélie tenait tant depuis son élec­tion. Elle en a été, avec un cama­rade, porte-parole : « On a demandé si des choses concrètes allaient être mises en place pour les accueillir, et si plus de repas pouvaient être orga­ni­sés. On a ensuite débattu avec les adultes. Ils étaient bien­veillants, mais j’ai trouvé que leurs réponses se contre­di­saient parfois ». Le regard de Zélie porté sur les élus donne à réflé­chir : « Ils commencent par dire que ce n’est pas possible. Nous, les enfants, on se dit que ça va peut-être marcher, qu’il y a toujours une solu­tion ».

Une atti­tude ouverte et posi­tive dont nous pour­rions bien nous inspi­rer.

Par Clarisse Bioud • Illus­tra­tions de Laurie Croissy

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