On en a de la chance: pendant tout le temps du confinement, la conteuse Aurélie Loiseau nous offre chaque semaine un conte à partager avec nos enfants. Ça commence dès maintenant avec Le pays des fleurs, à dire, murmurer, slamer, chanter… à n’importe quel moment de la journée.
Le Pays des Fleurs
Il y a bien longtemps, les hommes étaient impossibles … Le Grand sorcier avait décidé de quitter les hommes, de fuir son pays et de s’isoler au sommet de la plus haute montagne. Aussitôt, un grand malheur envahit la nature ; toutes les fleurs, celles des jardins, des bois, des prairies, des collines meurent et disparaissent. Ce qui fait fuir tous les animaux, les oiseaux et les insectes. Le pays fleuri devient alors un désert. Fleur. Pétale. Pistil. Bourgeon. Bouton. Bouquet. Corolle. Pollen. Tige. Les enfants apprennent ces mots, imagine cette beauté seulement grâce à la parole des anciens. Dans ce désert sans couleur, les enfants ne croyaient pas à ces souvenirs partagés : « Pfff, n’importe quoi, vous ne racontez que des histoires… Tout cela n’a jamais existé, c’est impossible ! ».
Tous, sauf un enfant, un petit garçon, Maori : « Maman, raconte-moi encore les fleurs. » Il lui disait : « Maman, quand je serai grand, je trouverai le Grand sorcier, et je lui demanderai qu’il nous redonne les fleurs pour changer le paysage. » Le temps passe. Maori est devenu un homme. Son rêve de fleurs a grandi avec lui. Il fait son sac et part en direction de la plus haute montagne, pour aller chercher ce dont il a toujours rêvé. Les hommes, les femmes sur son passage le traitent de fou : « Maori ! Il n’y a que les fous pour croire aux histoires ! » Il arrive au pied de la plus haute montagne, et met sept jours pour l’escalader. Arrivé tout en haut, il trouve une source. Il boit un peu d’eau et d’un coup, toute sa fatigue s’évapore. Il se sent fort, heureux, déterminé. Derrière lui, il entend une voix qui lui demande ce qu’il est venu chercher ici : « Je cherche le Grand sorcier. Je veux lui demander de nous rendre les fleurs et les insectes. Un pays sans fleurs, sans couleurs, est triste à mourir. Seule la beauté peut rendre les gens bons, et je suis certain que ceux de mon pays cesseront d’être égoïstes et sans-cœur, si le sorcier leur redonnait les fleurs. »
À ces mots, Maori se sent soulevé par des mains invisibles. Il est transporté vers le pays des fleurs éternelles, et se retrouve au milieu d’un tapis de fleurs multicolores. La voix lui dit : « Rapporte ces fleurs dans ton pays. Grâce à toi, à ton courage, ton pays ne sera plus jamais sans fleurs. Les vents du Nord, de l’Est, du Sud et de l’Ouest sèmeront les graines des fleurs aux quatre coins de la terre. Reviendront alors les insectes, les abeilles, et cette merveilleuse crème dorée qu’est le miel. » Le jeune homme remercie le Grand sorcier. Il descend la montagne, les bras chargés de fleurs, aussi léger d’un pétale. Quand il revient chez lui, les habitants découvrent les fleurs, les couleurs, respirent leurs parfums… C’est un grand bonheur. Ils disent : « Ah, nous savions bien que les fleurs n’étaient pas des histoires inventées ! » Leur pays redevient un jardin. Les fleurs poussent au milieu des bois, des prairies, des montagnes, des collines, près des rivières et des lacs.
Alors les habitants du pays se réunissent auprès de Maori pour leur demander d’être leur roi. Maori accepte et leur dit : « N’oublions jamais que c’est l’égoïsme, le narcissisme des hommes qui a entraîné la disparition des fleurs de notre pays. » Et comme personne ne voulait être privé du bonheur des fleurs, chacun, chacune a pris soin de la planète pour ne plus jamais fâcher le Grand sorcier. Et si un jour, cela devait recommencer, la planète pourrait peut-être aussi inventer une façon de se protéger, d’éloigner les hommes un temps, pour mieux respirer…
© Aurélie LOISEAU, librement adapté d’un conte traditionnel australien.
http://aurelieloiseau.com/
Illustration © Anne-Sophie LOHOU