Que vous soyez passé à côté d’un film culte lors de sa sortie en salle ou que vous ayez envie de parta­ger un bon moment de cinéma avec vos enfants, la rubrique Mon ciné-club vous propose de (re)décou­vrir des films incon­tour­nables, faciles à déni­cher et à vision­ner en famille. Ce mois-ci : Wadjda, de Haifaa al-Mansour, sorti en 2003. 

Bien qu’elle gran­disse dans un milieu conser­va­teur à Riyad, la capi­tale saou­dienne, Wadjda est une fille pleine de vie qui porte jeans et baskets, écoute du rock et ne rêve que d’une chose : s’ache­ter le beau vélo vert qui lui permet­tra de faire la course avec son ami Abdal­lah. Sauf que, chez elle, les bicy­clettes sont réser­vées aux hommes car elles consti­tuent une menace pour la vertu des jeunes filles.

Un pavé dans la mare conser­va­trice

Le film Wadjda de Haifaa al-Mansour est, d’em­blée, un événe­ment ciné­ma­to­gra­phique d’un point de vue histo­rique et poli­tique. Deve­nir réali­sa­trice dans un pays où la vision locale et inté­griste du Coran inter­dit la repro­duc­tion de la figure humaine appa­raît comme lourd d’enjeu et de sens. En abor­dant des théma­tiques socié­tales essen­tielles sur la condi­tion des femmes, elle invite notam­ment à réflé­chir sur les problé­ma­tiques du voile (imposé par la direc­trice de l’éta­blis­se­ment scolaire de Wadjda), du mariage forcé et de la poly­ga­mie, de la liberté des femmes – si souvent assi­gnées à rési­dence.

Refu­sant la stig­ma­ti­sa­tion simpliste à l’égard de la gent mascu­line, elle met en lumière les tabous écra­sants d’une société patriar­cale où il est diffi­cile de se construire pour une jeune femme.À la fois rêveuse, rusée et obsti­née, Wadjda semble réso­lue à garder la tête haute et à se façon­ner une iden­tité en adéqua­tion avec ses désirs de jeunesse. Une ode à la liberté indi­vi­duelle, drôle, atta­chante et inspi­rée, facile d’ac­cès pour les enfants de la même tranche d’âge que la prota­go­niste prin­ci­pale, qui offre un regard essen­tiel sur le monde et dresse un état des lieux aussi effrayant qu’op­ti­miste.

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Le courage d’une cinéaste

Alors que depuis le début des années 1980, l’État saou­dien a ordonné la ferme­ture des salles de cinéma, Haifaa al-Mansour se posi­tion­nait, en 2012, comme une pion­nière ne manquant pas d’au­dace. Elle dut convaincre autour d’elle pour mener à bien son projet et fut obli­gée de se cacher parfois pour mettre en boîte son long-métrage sur cette préado­les­cente atti­rée par la pop culture améri­caine, si décon­si­dé­rée dans son cadre de vie rigou­reux. Première femme cinéaste d’Ara­bie Saou­dite, Haifaa al-Mansour signe un film coura­geux et intel­li­gent.

Par Thomas Périllon