On en a de la chance : pendant tout le temps du confi­ne­ment, la conteuse Auré­lie Loiseau nous offre chaque semaine un conte à parta­ger avec nos enfants. Ca commence dès main­te­nant avec Visage(s), à dire, murmu­rer, slamer, chan­ter… à n’im­porte quel moment de la jour­née.

Visage(s)

C’est l’his­toire de Tiago. Un vieil homme maigre, aux cheveux blancs et au regard vif. Il habi­tait une cabane, au milieu d’une forêt profonde. Une fois par semaine, il allait au marché du village voisin. Une fois son panier rempli de provi­sions, il s’as­seyait à l’ombre d’un arbre sur un banc ; alors le rituel pouvait commen­cer. Yeux plis­sés. Obser­va­tions. Mémoires. Au bout de deux heures, il rentrait chez lui. Il étalait ses pinceaux, ses encres, ses feuilles de papier sur la table. Tiago se mettait à pein­dre… chaque jour sept visages rencon­trés au marché. Concen­tré sur ses pein­tures, il n’en­ten­dait pas le monde autour.

À la fin de la semaine, il accro­chait les sept visages de ces sept jours – soit 49 portraits pour ceux qui ne font pas leurs révi­sions de mathé­ma­tiques pendant ce confi­ne­ment – sur les murs de sa cabane. Il les regar­dait longue­ment, tendre­ment, et il souriait. Une nuit, il entend frap­per à sa porte. Il est tard. Penché sur un dessin, à la lueur d’une bougie, Tiago travaille encore :

Qui est là ? dit-il, en conti­nuant de peindre.

Je suis la Mort, je viens te cher­cher. 

Tiago se lève en ronchon­nant. Il ouvre la porte. Devant lui, se tient un grand person­nage vêtu de noir, au visage d’ombre.

Entre, assieds-toi par ici. Je dois finir de peindre le visage de cet enfant que j’ai rencon­tré hier au marché du village.                                                                    

Sidé­rée par la réac­tion du vieil homme, la Mort se fige. Puis, elle s’avance derrière Tiago et regarde par dessus son épaule. Sous les pinceaux du vieil homme appa­raît le visage d’un enfant souriant, pétillant. La Mort est boule­ver­sée. Elle connaît toutes les grimaces du monde mais elle n’a jamais vu un sourire. Alors, elle s’éloigne, confuse. Et dans la nuit noire, elle remonte au ciel. Quand le RDC (le roi des cieux) la voit appa­raître dans le palais céleste, il lui dit sèche­ment :

Pourquoi reviens-tu seule ?

RDC, lorsque je suis entrée chez Tiago, il était en train de peindre un sourire sur un visage. Je n’ai pas pu… le déran­ger. Je n’ai pas pu l’em­por­ter.

Un mortel qui inti­mide la Mort ? C’est inouï ! Je veux voir cet homme devant moi, avant l’aube.                                                                                                          

La Mort redes­cend sur terre. Trouve la forêt profonde. La cabane en bois. Ne prend pas la peine de frap­per à la porte. Entre chez Tiago :

Où étais-tu partie ? Pourquoi tu m’as fait attendre ?                                        

Tiago se tient debout avec ses affaires de peintre sous le bras, quelques feuilles, des encres de couleur, des pinceaux. Dans un souffle, La Mort l’en­ve­loppe dans son manteau et l’em­porte. Tiago entre dans le palais divin. Le RDC contemple longue­ment ce vieux mortel maigre, aux vête­ment tachés d’encre, encom­bré de feuilles de papier, de pinceaux, de couleurs :                 

Vieil homme, tu as toujours peint des visages. Unique­ment des visages. Pourquoi ?

Parce que, pour moi, les visages humains sont les plus beaux paysages du monde.

Le RDC sourit, lui tend la main et l’em­mène dans un jardin merveilleux :

Voilà ta demeure éter­nelle. Tu vivras ici près de l’Es­prit de Vie. Tu pein­dras des visages. Et chaque fois qu’un enfant naîtra sur terre, tu en choi­si­ras un dans ta collec­tion et tu le lui donne­ras. 

Que la beauté des paysages-visages de vos enfants vous emmène dans des rêve­ries magni­fiques…

© Auré­­lie LOISEAU, libre­ment adapté d’un conte chinois.

http://aure­­lie­­loi­­seau.com/

Illus­­tra­­tion © Anne-Sophie LOHOU