On en a de la chance: pendant tout le temps du confi­ne­ment, la conteuse Auré­lie Loiseau nous offre chaque semaine un conte à parta­ger avec nos enfants. Ça commence dès main­te­nant avec C’est l’heure, à dire, murmu­rer, slamer, chan­ter… à n’im­porte quel moment de la jour­née.

C’est l’heure

Il était une fois un petit garçon qui croyait aux histoires. Il aurait voulu connaître, lire, écou­ter toutes les histoires du monde et passer sa vie plongé dans les livres ou au premier rang d’un spec­tacle vivant pour ne pas perdre une miette de mot.    

Tous les mercre­dis, il prenait son goûter à 16 heures pile chez sa mamie “gnagna­gna et gnagna­gni”. Un jour, sa mamie lui avait raconté l’his­toire de l’ange qui pose le doigt sur la bouche à notre nais­sance, afin qu’au­cun secret du monde du dedans ne soit révélé au monde du dehors. Depuis, il passait son temps à véri­fier son petit pli de bouche, en passant son doigt dessus. Tu connais cette histoire ? Il imagi­nait son visage sans l’em­preinte de l’ange. Quelle tête aurait-il eue ? Une bouche avec une bosse ? D’ailleurs, pourquoi les chameaux avaient deux bosses ? Et sa maîtresse bossue, quel mystère cachait-elle dans sa bosse ? L’autre jour, il était tombé de vélo, il avait eu une sacrée bosse au front. Une amie de sa classe lui avait dit que s’il frot­tait une feuille sur sa bosse, une chenille pour­rait choi­sir d’y faire son cocon pour deve­nir un papillon.  

Et un matin, à son réveil, un papillon blanc était posé sur son front. Sa copine avait dit vrai! Ça avait marché! Il a ouvert la fenêtre de sa chambre, le papillon s’est envolé dans le jardin et il l’a suivi. Il a couru en le suivant des yeux. Le papillon a volé. Il a couru. Volé. Pieds. Ailes. Il s’est retrouvé en haut d’une montagne toute sèche, pelée. Tiens, il y avait juste­ment sa mamie pas loin qui criait : “La vie est méchante !” Et l’écho de la montagne lui répon­dait : “La vie aime et chante !” Le papillon avait disparu. Le petit garçon s’est appro­ché de sa mamie. Le visage de sa mamie avait changé. Elle avait laissé des années fanées sur le flanc de la montagne. Tu viens ? Ils étaient redes­cen­dus tous les deux, à petits pas, sa mamie avec dix ans de moins. Arri­vés en bas de la montagne, ils ont regardé le sommet.    Dans chacun de leurs pas, des fleurs avaient poussé.   

Quand ils sont entrés chez Mamie, c’était 16 heures pile de mercredi, l’heure du goûter.   Mamie a sorti un bocal de son placard aux petits carreaux rouges. Il y avait une étiquette “Confits de nez” :  

– “C’est quoi, ça, Mamie ?

– Ça, c’est un peu spécial. C’est un bocal pas comme les autres. Quand j’étais petite, il y a eu une tempête violente. On avait demandé aux familles de ne pas sortir pendant un long moment et d’ap­prendre à cuisi­ner en famille. De prendre le temps, de se faire confiance, et de faire des confits de nez. De prendre toutes les odeurs des doux souve­nirs, tous les parfums aimés, de paysages, de peaux, de se les remé­mo­rer et de les mettre en bocal.    Pour les jours gris. Pour ne pas oublier. 

– Et aujourd’­hui, c’est un jour gris ? 

– Non, mais comme j’ai perdu mon “gnagna­gna gnagna­gni” pour la vie, c’est un jour impor­tant. J’ai envie de parta­ger ce bocal de “confits de nez” avec toi, et de te racon­ter toute l’his­toire de cette tempê­te… T’es prêt ?

– Oui.” 

La mamie a ouvert le bocal sur ses genoux. Une aile de papillon blanche est tombée. Sa bouche s’est plis­sée et elle a commencé: “Il était une fois…

© Auré­­lie LOISEAU

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Illus­­tra­­tion © Anne-Sophie LOHOU