Titularisé en 2017, le Villeurbannais Loïc Malfroy a dû se résoudre, comme nombre de jeunes collègues, à partir enseigner l’éducation physique et sportive en Seine-Saint-Denis pendant un an. Exerçant aujourd’hui en banlieue lyonnaise, il raconte son expérience dans un livre très personnel, dépouillé de tout cliché.
Pourquoi avoir écrit ce livre ?
Au bout d’un an en Seine-Saint-Denis, quand je suis rentré dans l’académie de Lyon, j’ai réalisé qu’il y avait un décalage énorme entre la réalité de mon expérience et ce que j’avais cru vivre au départ. J’ai voulu raconter cette expérience et parler aussi de ce que c’est que démarrer le métier d’enseignant, que tout le monde croit connaître. Mon but n’est pas de dénoncer, mais de partager ce que j’ai vécu le plus sincèrement possible.
Vous expliquez très bien le processus d’affectation après la titularisation et comment ce départ en Seine-Saint-Denis apparaît comme une étape obligée.
D’une discipline à une autre, ça ne se passe pas pareil. Selon les académies, il y a des disciplines qui sont plus demandées que d’autres. Par exemple, en maths, si on commence sa carrière en tant que stagiaire dans l’académie de Lyon, on pourra y rester ensuite car la demande est très importante. Mais c’est impossible pour la majorité des autres matières, car cette académie est très demandée. A contrario, l’académie de Créteil dont dépend la Seine-Saint-Denis l’est très peu…
Dès le début de votre livre, vous avouez vos préjugés quant à la Seine-Saint-Denis. D’où venaient-ils ?
Je pense que cela tient beaucoup aux médias qui relaient un nombre important de faits divers dans ce département. Comme il y a une détresse sociale plus forte, je pense que des choses plus graves s’y passent et on en parle donc plus. Et puis, en tant que futur prof, on sait qu’il y a beaucoup plus de zones d’éducation prioritaire (REP) là-bas. Tout ça participe à nourrir les préjugés. Avant d’y aller, j’ai fait mon stage en REP à Vénissieux, où les élèves étaient déjà un peu compliqués. Je me disais que ce serait encore plus difficile en Seine-Saint-Denis. Il y a toujours l’idée que c’est plus dur là-bas.
Mais vous dites qu’au-delà des problèmes de discipline, c’est surtout la détresse sociale qui vous a choqué.
Malheureusement, les moyens qu’on nous fournit en REP ne sont pas suffisants pour endiguer ce que peuvent vivre les élèves et leur famille au quotidien. Parfois, ce n’est pas le manque de respect d’un élève envers son enseignant qui est le plus dur à gérer, mais plutôt le décalage entre ce que l’enseignant considère comme normal venant de l’élève et ce que cet élève peut réellement fournir au regard de sa situation familiale.
Pensez-vous que le fait d’enseigner l’EPS ait été une chance, par rapport à d’autres matières comme le français ou l’histoire-géographie?
Indéniablement, ça présente des avantages. On sort du cadre scolaire où l’élève doit rester assis sur une chaise à écouter parler le prof pendant une heure. On peut rattraper certains élèves qui sont en décrochage par ailleurs. En revanche, on doit les gérer dans l’espace. Si jamais il y en a trois qui font n’importe quoi au fond du gymnase, on ne peut pas se diviser en deux. Cela peut donner lieu à des accidents.
Vous pointez aussi des problèmes de discipline à Meyzieu (69) où vous enseignez désormais. C’est finalement un point commun avec votre année dans le 93…
Cela me paraissait très important de dire que la Seine-Saint- Denis n’a pas le monopole des problèmes de discipline. À Meyzieu, l’environnement de mes élèves n’est pas le même : il n’y a pas de détresse sociale aussi importante, même si elle existe pour certains. Mais la grande différence, c’est que le collège n’est pas en REP. On a donc à gérer 30 élèves, contre 24 en REP. Et dans le 93, entre les dispenses et les absences, je n’avais des groupes que de 20 élèves. Ça ne parait pas grand-chose, mais 10 élèves, c’est énorme !
Cette année en Seine-Saint-Denis n’a-t-elle finalement pas été une sorte de super stage de formation ?
Ce fut évidemment très formateur, mais je trouve qu’il y a des manières plus douces d’apprendre. On est constamment en train de réagir, c’est assez brutal.
Vous évoquez ces instants de complicité avec vos élèves, que vous appelez des « moments d’étoiles ». En avez-vous toujours ?
Je pense que j’en aurai partout, quel que soit le territoire, car c’est le cœur de mon métier. Mais c’est vrai qu’ils sont encore plus puissants lorsqu’on a le sentiment d’avoir vraiment apporté quelque chose à l’élève. Peut-être qu’il l’aura oublié une semaine après, mais sur l’instant, c’est magique.

Vis ma vie de prof
Loin d’être un journal de bord, le livre-témoignage de Loïc Malfroy a été écrit avec plus d’un an de recul sur l’expérience qu’il a vécue en Seine-Saint-Denis. Qu’il évoque les conditions d’exercice de son métier, la situation de ses élèves ou encore la force du collectif formé par ses collègues, il le fait toujours avec une sincérité et une humanité touchantes, porteuses d’espoir sans verser dans l’angélisme.
Un an en Seine-Saint-Denis, témoignage d’un prof d’EPS débutant !
de Loïc Malfroy. Autoédition. 250 pages. 12,90€. Points de vente sur loic-malfroy-auteur.com et chez-mon-libraire.fr