À la fois autre et semblable, rival ou complice, le frère et la sœur occupent une place importante dans le monde psycho-social de l’enfant. Sur la base des témoignages recueillis par Grains de Sel auprès des familles, Françoise Guérin, psychologue clinicienne basée à Caluire-et-Cuire, éclaire certains phénomènes.
Comment préparer son enfant à l’arrivée d’un petit frère ou d’une petite sœur ?
Il faut d’abord prévenir l’enfant qu’un bébé est en route. Ensuite, être à l’écoute de ce qu’il a à en dire. Sachant qu’il sent bien qu’il a peu de marge de manœuvre dans ce qu’il va dire, au risque d’être le méchant enfant. Il y a des enfants qui filtrent si bien leurs émotions qu’ils semblent ouverts à l’arrivée d’un bébé, alors qu’au fond ils sont inquiets en pensant qu’il va prendre leur place. Dans ce cas-là, l’enfant aura des gestes qui le trahissent, envers le bébé ou envers la maman : des colères, des régressions, des petites attaques qui sont des manières pour lui de manifester sa colère de manière filtrée. Donc il faut accueillir ce qui va surgir et rassurer l’enfant, pourquoi pas lire des histoires sur le sujet pour lui montrer qu’il n’est pas le seul à traverser ces émotions.
Les enfants ont souvent du mal à partager avec leurs frères et sœurs. Qu’est-ce qui se joue quand l’enfant revendique l’appartenance de ses jouets, de sa chambre ?
Les parents veulent que leurs enfants aient un lien fort. C’est l’image qu’on se fait d’une famille idéale. Or dans le réel, l’enfant n’est pas du côté de l’idéal ni de la fraternité, mais plutôt de la revendication de son espace, qui relève sans doute de la défense de son territoire intime. La chambre d’un enfant, son lit, ses jouets, c’est son territoire psychique, une part de la représentation qu’il se fait de lui dans le monde. Ça ne va jamais de soi de laisser un autre y entrer. C’est donc normal d’avoir des disputes. Il faut comprendre que chaque enfant a besoin de son espace à lui, surtout quand il devient adolescent. Si deux enfants partagent une chambre, on peut faire en sorte que chacun ait son espace intime à lui (lit-cabane, rideau de séparation…)
Comment gérer le handicap d’un enfant vis-à-vis des frères et sœurs ?
Il faut laisser chaque enfant s’organiser et se penser avec le handicap du frère ou de la sœur. Certains sont dans l’empathie, le désir d’être des soignants, d’autres non. Quoi qu’il en soit, il faut laisser l’enfant jouer sa propre partition au sein de sa famille, tout en étant attentif, s’il est soignant, à ce qu’il ne s’oublie pas, car un enfant qui se sacrifie pour un frère ou une sœur lui en voudra tôt ou tard. Mais c’est à partir de ce qu’ils sont que les enfants vont endosser tel ou tel rôle, pas forcément à partir de leur place dans la fratrie.
Cette place dans la fratrie nous forge-t-elle en tant qu’individu ?
Si elle influence le caractère de l’enfant, c’est plus par l’attitude du parent vis-à-vis de l’enfant en fonction de cette place et des représentations qu’il s’en fait. Souvent, les parents qui viennent consulter disent : « C’est l’enfant du milieu, il a du mal à trouver sa place », mais s’ils sont persuadés que c’est difficile d’être l’enfant du milieu, ils risquent de déterminer quelque chose. La place dans la fratrie est d’ailleurs souvent ce qui ressort en début de consultation, avant de nous emmener en fait plus loin dans l’histoire particulière de la personne, sans lien avec la place d’aîné, de cadet ou du milieu.
Comment les plus petits vivent-ils la rupture qui s’opère quand le grand frère ou la grande sœur devient adolescent ?
Tout dépend de la relation établie. L’entrée au collège constitue souvent un changement de sphère ; les enfants ne se croisent plus dans la cour de récréation. Souvent, a posteriori, les adultes se rendent compte que le moment où l’aîné a lâché la fratrie pour aller vivre son truc avec ses copains les a marqués. À un moment, ses copains peuvent devenir plus importants que sa famille. Et voir comment l’aîné commence à dénigrer ouvertement les parents est déstabilisant pour les plus jeunes qui sont inquiets de découvrir que les parents ne sont pas aussi forts.
On dit souvent que les parents passent plus de choses aux cadets. Mythe ou réalité ? À quoi est-ce dû ?
Je ne sais pas si les parents sont plus souples avec le dernier, ou s’ils sont juste moins inquiets qu’ils ne l’étaient pour le premier enfant. Avec le premier, chaque chose à une importance capitale, alors qu’avec le dernier, les parents ont acquis de l’expérience et sont plus apaisés. Les aînés peuvent le vivre comme une démission parentale ou pire encore, croire que le petit dernier est le préféré. Parfois, les parents ne s’en rendent même pas compte eux-mêmes.
Dans les familles que nous avons rencontrées, les choses se passent plutôt bien. Mais que faire quand les enfants ne s’entendent pas du tout ?
Il n’y a pas de recette, mais c’est important de prendre le temps de comprendre d’où ça vient et entendre ce que chacun a à dire de la situation. Ce n’est pas facile : l’enfant lui-même ne sait pas toujours ce qui cloche car les choses se passent parfois à un degré inconscient. Parfois, les enfants s’apaisent par le simple fait de voir que les parents s’attachent à trouver une solution et à écouter chacun. Enfin, ce qui nous apparaît, à nous professionnels, comme des rivalités fraternelles ordinaires sont souvent perçues comme de graves problèmes par les parents. Là où, dans leur idéal parental, ils s’attendent à ce que les enfants s’entendent bien, la norme est en fait que ça n’est jamais fluide.
Par Clarisse Bioud et Louise Reymond