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L’ami­tié, prodi­gieux chemin vers la socia­li­sa­tion

Publié le 01/11/2022

Ni parents, ni frères et sœurs, ni amou­reux: amis. Ce lien unique que tissent les enfants en sortant de la sphère fami­liale semble couler de source. Pour­tant, l’ami­tié n’est pas toujours un long fleuve tranquille. À l’école où se nouent les premières affi­ni­tés, confiance, disputes et rupture sont autant d’ex­pé­riences intenses pour des êtres en plein déve­lop­pe­ment psycho-affec­tif. L’ami­tié joue en fait un rôle fonda­men­tal dans l’ap­pren­tis­sage social des enfants, qu’il s’agit en tant que parent d’ac­com­pa­gner, sans inter­ve­nir outre mesure.

Quand on demande aux enfants pourquoi ils sont amis, leurs réponses sont toutes simples: “On a commencé à jouer ensemble et on est devenu amis”, raconte Baptiste, 8 ans. En CM2, le petit garçon a plein de copains qu’il connaît depuis le CP, certains depuis la Mater­nelle. Elise, 9 ans, a connu sa meilleure amie Margot en CE1: “Au début on était juste cama­rades, et puis la maîtresse nous a mises à côté, on s’en­ten­dait bien, retrace la fillette. Après on a commencé à jouer ensemble à la récré.” Même histoire du côté de Lison et Anselme, 11 et 10 ans: “On est dans la même classe depuis le CE2. On se connaît depuis long­temps, c’est pour ça qu’on est meilleurs amis.”

Un source de sécu­rité affec­tive au sein de l’école

Toutes ces amitiés sont nées à l’école, dans la coopé­ra­tion des travaux de classe et les jeux de la cour de récré. Insti­tu­teur en grande section de Mater­nelle à Lyon, Chris­tophe Fraysse voit se nouer les affi­ni­tés : “L’ami­tié devient impor­tante en fin de mater­nelle, quand ils commencent à deve­nir des petits êtres sociaux”, observe-t-il. “Lorsque l’en­fant sort du cocon fami­lial, il a besoin d’al­ler vers l’autre pour trou­ver du récon­fort, explique Anne-Thérèse Mignery, psycho­logue à Lyon 6e. Tisser des liens et se sentir aimer en dehors du noyau fami­lial est impor­tant pour se construire. L’en­fant trouve alors chez l’ami une autre source de sécu­rité affec­tive: il devient un repère qui va l’ai­der à traver­ser l’école et en faire un envi­ron­ne­ment fami­lier.”

« Un ami, c’est quelqu’un qui est gentil avec toi et qui t’aide quand tu ne vas pas bien.”

Anselme

Ce besoin est tel que certains insti­tu­teurs prennent en compte les affi­ni­tés des élèves au moment de faire les listes de classe. “Il m’est arrivé de voir des enfants effon­drés à la rentrée car ils n’avaient pas leur copain avec eux”, relate Chris­tophe Fraysse. Anselme et Lison en savent quelque chose. Dans la même classe depuis quatre ans, ils comp­taient bien s’épau­ler l’un l’autre pour leur rentrée au collège. Leurs mamans avaient même rédigé des cour­riers pour qu’ils soient dans la même classe. Mais le jour de la rentrée, une erreur les a dispat­chés dans des classes sépa­rées. “Quand j’ai su que j’étais pas dans la même classe que mes copains, je ne voulais plus aller à l’école”, se rappelle Lison. Heureu­se­ment, l’er­reur a été corri­gée et les deux amis se sont retrou­vés. 

Tisser des liens en-dehors de la famille 

La sécu­rité affec­tive assu­rée, l’en­fant est disposé à apprendre. Lorsqu’il est petit, “l’ami­tié lui apprend à tisser des liens en dehors de la famille, explique Anne-Thérèse Mignery. Avec les frères et sœurs, le lien est stable: même si on se dispute, il est toujours là. En amitié, on expé­ri­mente le lien diffé­rem­ment: on se dispute, on partage les amis, on cherche sa place dans un grou­pe… C’est un appren­tis­sage social qui permet à l’en­fant de décou­vrir l’autre et de se décou­vrir.” La cour de récré devient alors “un labo­ra­toire d’ex­pé­riences sociales, assure Chris­tophe Fraysse. Car les enfants apprennent en inter­ac­tion avec les autres. Même après avoir passé la jour­née ensemble à l’école, ils veulent encore se retrou­ver au parc, où ils supplient leurs parents de les emme­ner. S’ils le font, c’est que c’est impor­tant pour eux.

Et pour cause, l’ami permet de s’ou­vrir au monde en étant confronté à la diffé­rence. “Avant 5 ans, l’en­fant pense que c’est partout comme à la maison. En allant chez des copains, il se rend compte que ça fonc­tionne autre­ment”, expose Anne-Thérèse Mignery. Muriel rapporte ainsi la rencontre de sa fille Victoire avec la fille d’un couple d’amies: “Une fois à la maison, Victoire s’est exclamée: “Maya, elle a deux mamans… elle a telle­ment de chance !” Je lui demandé pourquoi et elle m’a répondu: “Bah toi tu dis tout le temps que t’as pas quatre bras !” » Aller dormir chez un copain parti­cipe à cette “éman­ci­pa­tion par rapport au noyau fami­lial, confirme la psycho­logue, mais c’est aussi une façon de passer à un niveau supé­rieur d’in­ti­mité. Quand on a toute la nuit pour papo­ter et parta­ger ses secrets, on crée un lien plus fort.”

« Un ami, c’est comme un garde-secrets. »

Élise

Le secret comme marqueur de confiance

Car les amis ne font pas que jouer: ils parlent aussi, beau­coup. “Le senti­ment d’ami­tié se fait en lien avec le déve­lop­pe­ment du langage qui permet de parta­ger plus de choses”, souligne Anne-Thérèse Mignery. Chez ses élèves de Mater­nelle, Chris­tophe Fraysse voit aussi poindre, avec le langage, le chan­tage affec­tif. “Le gros clas­sique, c’est le “je t’in­vite ou je t’in­vite pas à mon anni­ver­saire”, s’amuse-t-il. Pour eux c’est un marqueur qui dit: “je te recon­nais ou pas comme un ami”. Ils sentent qu’il y a un pouvoir de recon­nais­sance et ils commencent à s’en servir.” Mais le langage sert aussi à se racon­ter des secrets, un autre marqueur fonda­men­tal d’ami­tié. “Avec mes copines, je partage des jeux, le goûter. Avec Margot, on partage des secrets, nous dit Élise. J’ai confiance en elle parce que je sais qu’elle ne les répé­tera pas.” Car quand le secret est répété, les disputes éclatent.

Disputes : apprendre à se poser

Dans le cabi­net d’Anne-Thérèse Mignery, elles occupent une large place. “Les soucis d’ami­tié peuvent avoir un véri­table reten­tis­se­ment dans la tête d’un enfant. Il gran­dit en réac­tion aux autres, donc forcé­ment ce qu’il se passe avec un ami va l’im­pac­ter dans sa construc­tion sociale. Les conflits, les mises à l’écart, la sensa­tion de rejet peuvent être vécus avec une grande violence.” Pas de panique pour autant: « L’in­té­rêt d’une dispute, c’est d’ap­prendre à les dépas­ser. C’est l’oc­ca­sion pour l’en­fant d’ap­prendre à se respec­ter et à respec­ter la liberté de l’autre et de trou­ver ensemble des compro­mis, base de la vie en collec­ti­vité.”

La psycho­logue préco­nise aux parents de ne pas inter­ve­nir, au risque de cris­tal­li­ser le conflit en le propa­geant dans la sphère adulte, mais de guider l’en­fant pour le mettre dans une posi­tion d’ac­teur. “L’en­fant apprend à se poser, il expé­ri­mente sa manière d’être en lien avec l’autre. Les béné­fices en termes de confiance en soi et d’au­to­no­mie sont nombreux.” Il faut toute­fois inter­ve­nir en cas de violence ou de propos humi­liants. “L’idée ne sera pas de dire qui a raison ou tort, guide la psycho­logue, mais de leur apprendre à expri­mer leur point de vue et leurs besoins.” Enfin, elle invite à rassu­rer l’en­fant: “C’est normal de se dispu­ter et ça ne brise pas forcé­ment le lien. L’en­fant peut être très inquiet d’une dispute et croire que c’est très grave, défi­ni­tif… Or, parfois la rela­tion en sort plus forte !

Amis pour la vie © Susie Waroude
© Susie Waroude

L’ami­tié et ses déboires

Mon copain démé­nage et tout est dépeu­plé

Les meilleurs partent en premier, comme les chan­teurs” cite Lison en évoquant le démé­na­ge­ment de sa meilleure amie l’an dernier. Si elle à l’air plai­san­tin, elle confie avoir pleuré le jour du départ. Dans le cabi­net d’Anne-Thérèse Mignery, les enfants tracas­sés par le départ de leurs amis sont fréquents, surtout lors des rentrées scolaires. “C’est quelque chose qui peut agiter psychique­ment l’en­fant. Il perd une sécu­rité affec­tive et un repère, il est débous­solé.” Une épreuve qu’É­lise s’ap­prête elle aussi à traver­ser, un peu stres­sée “J’ai un peu peur que Margot se fasse des nouvelles meilleures amies et qu’elle pense plus trop à moi...” 

Faire perdu­rer le lien

Les enfants ont très peur d’être oubliés par leurs amis ; c’est le senti­ment d’in­sé­cu­rité qui ressur­git, explique Anne-Thérèse Mignery. Ils ont besoin d’être rassu­rés en voyant que le lien peut perdu­rer.” Pour lais­ser une trace de soi chez l’autre, les enfants s’offrent des cadeaux. Une sorte de rituel autour d’un objet par lequel le lien conti­nue­rait d’exis­ter. Lors du départ de son amie, Lison lui a offert “un gros cadeau avec plein de choses dedans. Mes meilleurs amis, j’ai envie qu’ils voient que je les oublie pas… » 

« Un ami, ça peut être dans toute la terre… ça peut en Chine ou en Ukraine.”

Baptiste

Pour les parents, la conso­la­tion n’est pas toujours facile. Sophie, la maman d’Élise, en témoigne: “En tant qu’a­dultes, on a tant de recul qu’on ne peut pas s’em­pê­cher de dire “tu verras, c’est diffi­cile au début et puis tu vas te faire d’autres amis…” Mais on sait bien que ce qui compte c’est l’ins­tant présent que vit l’en­fant, le quoti­dien qui va manquer.” Alors Sophie écoute, accepte la peine et évoque des solu­tions: écrire des cartes, invi­ter l’ami.e à dormir sont des moyens de montrer à l’en­fant que “même sans un lien du quoti­dien, on peut conti­nuer à être proches.” 

Réin­ves­tir d’autres amitiés

Mais parfois, le lien ne perdure pas et l’en­fant vit un chagrin d’ami­tié. Pour Anne-Thérèse Mignery, les parents ne peuvent pas toujours le proté­ger de cette souf­france, mais peuvent l’ac­com­pa­gner: “ On peut lui dire que ça n’en­lève rien à ce qu’ils ont vécu. Il s’agit de prendre le chagrin à sa juste valeur, tout en l’ai­dant à rela­ti­vi­ser pour pouvoir inves­tir d’autres amitiés, lui dire qu’il a le droit de tisser d’autres liens. Les enfants ont quand même cette capa­cité de réin­ves­tir d’autres amis. Ils savent rebon­dir.”

Amis pour la vie © Susie Waroude
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Quand l’en­fant a du mal à se faire des amis 

Si la plupart des enfants se font sans mal des copains, pour certains, tisser des liens n’est pas une évidence, et chaque année scolaire a son lot d’élèves isolés dans la cour de récréa­tion. Un stig­mate qui peut valoir les moque­ries des cama­rades. “Les enfants ont telle­ment besoin d’avoir des amis que ça leur fait très peur de voir quelqu’un tout seul. Donc ils le pointent du doigt: ça les rassure que ce ne soit pas eux”, explique Anne-Thérèse Mignery. Pour Chris­tophe Fraysse, le phéno­mène est plus fréquent en Élémen­taire qu’en Mater­nelle: “Il y en a un qui est un peu diffé­rent, donc on le rejette.” Pour­tant, il affirme: « L’in­te­rac­tion avec les autres est très impor­tante. Un adulte peut aimer être seul, mais un enfant ce n’est pas dans sa nature; il a fonda­men­ta­le­ment envie de jouer. Donc s’il n’in­te­ra­git pas avec les autres, c’est que quelque chose cloche.”

Cher­cher les causes du blocage

C’est impor­tant de comprendre ce qui l’em­pêche de rentrer en contact avec les autres, confirme Anne-Thérèse Mignery. Est-ce que ça vient d’un envi­ron­ne­ment insé­cure à la maison, est-ce que l’école se passe mal… ” Pris dans par un senti­ment de honte, l’en­fant ne va pas toujours parler de sa soli­tude, mais des indices peuvent mettre la puce à l’oreille, comme lorsqu’il prépare sa liste d’in­vi­tés d’an­ni­ver­saire. S’ils sentent un malaise, Anne-Thérèse Mignery invite les parents à ques­tion­ner l’en­fant et, s’il est en grandes diffi­cul­tés, à ne pas hési­ter à consul­ter un psycho­logue. Autre­ment, des moyens existent pour lui apprendre à être en lien avec les autres: invi­ter un ami à la maison, l’ins­crire à des acti­vi­tés extra scolaires ou déve­lop­per son empa­thie pour qu’il puisse mieux comprendre les autres et s’in­té­grer.

Apprendre à faire atten­tion aux autres

Mais pour la psycho­logue, il s’agit aussi d’en­cou­ra­ger les enfants “à trai­ter les autres comme ils aime­raient être trai­tés.” C’est aussi l’avis de Muriel: Quand vous êtes timide et qu’on n’ar­rête pas de vous dire qu’il faut que vous fassiez des efforts pour aller vers les autres, c’est compliqué: il faut déjà se sentir accueilli. Donc je trouve qu’on pour­rait inver­ser la respon­sa­bi­lité en inci­tant ses enfants à être vigi­lants à l’égard de ceux qui sont en diffi­culté.” À titre d’exemple, Baptiste, en lice pour être délé­gué de classe, a proposé d’ins­tal­ler un banc de l’ami­tié dans la cour, sur lequel les enfants seuls iraient s’as­seoir pour signa­ler aux autres leur besoin de compa­gnie.

Amis pour la vie © Susie Waroude
© Susie Waroude

L’im­pos­sible amitié fille-garçon ? 

Moi, je préfère les garçons, parce que des fois, les filles, elles font les quiches”, déclare Victoire. Dans son groupe de copains, Garance est la seule fille qui trouve grâce à ses yeux : “c’est pas une chochotte et on s’en fiche de comment on s’ha­bille.” Son petit frère Baptiste n’est pas du même avis: “Moi je préfère les filles parce que les garçons de ma classe sont souvent pas sympas.” Dans ces rela­tions amicales mixtes, Baptiste et Victoire sont épanouis. Enga­gée sur l’éga­lité femme-homme, leur mère, Muriel, leur a donné une éduca­tion parti­cu­lière sur ces sujets-là: “L’idée qu’on puisse ne pas être ami avec un garçon parce qu’on est un fille, pour Victoire c’est un non-sens”, déclare-t-elle.

Mais toutes les amitiés n’échappent pas à la socia­li­sa­tion genrée qui s’ef­force de diffé­ren­cier les garçons et les filles. En Mater­nelle, Chis­tophe Fraysse voit déjà poindre cette mise à distance de l’autre genre : “Une de mes élèves, pour son anni­ver­saire, n’avait invité que des filles, raconte-t-il. Quand je lui ai demandé pourquoi elle n’in­vi­tait pas de garçons, elle a répondu: “Maman trouve que c’est plus tranquille comme ça.”” L’en­sei­gnant aver­tit donc: “Atten­tion à ne pas inculquer à l’en­fant ses propres biais.”

Un garçon et une fille qui traînent ensemble ne sont pas forcé­ment amou­reux !”

Lison

“Oh les amou­reux !”

C’est peut-être pour faire comme les adultes que certains enfants se déclarent amou­reux de leur ami de sexe autre. “Avant, Scan­der c’était un peu mon amou­reux”, confie Élise à propos de son meilleur ami qu’elle connaît depuis l’âge de 6 mois. Pour cause, entre amitié et amour, la fron­tière peut être floue pour les enfants. Mais parfois, se sont les cama­rades qui viennent jaser. Lison et Anselme en ont long­temps fait les frais: “Vu qu’on traîne beau­coup ensemble, les autres disaient tout le temps qu’on était amou­reux. C’était éner­vant !” rapporte Lison. Depuis qu’ils sont au collège, on les embête moins. “Quand même, on s’est bien moqué de moi…” se souvient Anselme.

Cela en dit long sur notre société où les rapports hommes femmes sont tout de suite sexua­li­sés, analyse Anne-Thérèse Mignery. Mais ça dit aussi où en sont les enfants dans les rapports entre les sexes. Les amitiés fille-garçon, ça les ques­tionne: ils se demandent s’ils ont le droit d’être ensemble. Les moque­ries, c’est pour mettre à distance.” Pour Lison, c’est clair: “Un garçon et une fille qui traînent ensemble ne sont pas forcé­ment amou­reux.” Anselme est bien d’ac­cord, et invite les autres enfants à se moquer des moque­ries : « N’écou­tez pas les autres, ils disent n’im­porte quoi ! C’est pas eux qui comptent, c’est votre amitié.”

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