En réaction aux insultes sur les terrains de foot, le club Lyon-La Duchère a créé le livret-jeu «Carton rouge». Écrit et illustré par Julie Junquet avec le Conseil des enfants du club – 12 filles et 12 garçons de 9 à 14 ans – le livret a permis de sensibiliser les enfants à la lutte contre les discriminations, qu’elles soient racistes, sexistes, antisémites ou homophobes. Lotfi Ben Khelifa, membre du Comité de direction sur les sujets de la citoyenneté, revient sur ces séances réalisées avec les jeunes.
Pourquoi ce livret-jeu ?
Ce livret est la suite du premier qu’on avait fait sur la citoyenneté en reprenant les principes de la République et de l’engagement citoyen. Or, la citoyenneté passe aussi par la lutte contre les discriminations. D’où ce livret « Carton rouge » qui dénonce les discriminations dans le foot. C’est une idée qui émane du Conseil des enfants du club, suite à des choses qu’ils observent dans le foot professionnel ou des remarques qu’ils ont subies lors de matchs à l’extérieur.
Quelles discriminations subissent les enfants du club Lyon-La Duchère ?
On ne veut pas pointer du doigt… Mais quand on va jouer à la campagne ou dans les Monts d’Or, on peut entendre des cris ou des propos du genre « Sale Arabe », « Tu te crois dans ton quartier »… Des injures quant à l’origine ethnique ou sociale des jeunes. Dorénavant, chaque fois qu’il y aura de tels propos, le club portera plainte, car il n’y a malheureusement que par le législateur qu’on peut changer les choses. La violence contre les enfants doit être interdite et sanctionnée par la loi.
Pourquoi ces discriminations sont-elles récurrentes dans le foot ?
Le foot est à l’image de la société d’aujourd’hui : violente, exubérante… Le District de Lyon et du Rhône a saisi près de 150 affaires de violences en un an ! On doit sanctionner, mais aussi accompagner, car si on
agit par la sanction seule, on va retrouver les gamins assis au bout d’une allée à vendre de la drogue. Est-ce le rôle des clubs de foot ? Non, mais on se retrouve à devoir prendre ces initiatives, car on sent une démission des pouvoirs publics concernant les quartiers comme La Duchère. On pense donc nécessaire, dans un quartier où la pauvreté explose, où la culture ne monte pas jusqu’au plateau alors qu’on est à Lyon 9e, de faire ce travail-là. Le foot est vecteur de socialisation ; il apprend le respect des règles, la solidarité… Il peut jouer un rôle en tant que sport populaire.
Vous avez conçu ce livret pour que d’autres clubs de foot se l’approprient, comme un guide pédagogique…
Oui. On y explique ce qu’est une discrimination en pointant les mauvais comportements, en rappelant ce qu’est le racisme, le sexisme, l’homophobie, la grossophobie… Tous ces critères qui font qu’une société se fracture. On rappelle aussi la loi et les peines encourues pour de tels actes. Pour ça, on se base sur des exemples réels, comme le supporter au maillot 88 évoquant les lettres SS qui permet de parler de
l’antisémitisme, ou Kylian Mbappé se faisant insulter de « sale nègre »… Ce sont des choses qui se passent au quotidien. Comme le manque de budget pour les filles, qui n’ont pas assez d’équipements.
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Comment avez-vous abordé le délicat sujet des discriminations avec les enfants ?
On a commencé en douceur, d’abord avec des vidéos. Les enfants réagissent : « Ce n’est pas bien, ce n’est pas normal »… Puis on leur demande pourquoi ça les choque, ce qu’est une discrimination. On s’interroge sur soi également, car on sait que nos jeunes peuvent eux aussi être discriminants, parfois sans en avoir conscience. Quand on reçoit un carton rouge, c’est qu’on a fait une faute et qu’on n’a pas respecté les valeurs du foot. D’où le nom du livret, qui est réalisé dans le cadre du récent partenariat du club avec la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra).
Le livret a aussi été réalisé dans le cadre de la mise en place du Pôle de prévention des violences à l’égard des enfants au sein du club…
La violence envers les enfants est un énorme sujet, mais il est tabou. Les fédérations mettent la poussière sous le tapis. Ça commence à bouger, on a eu la condamnation du président du club de foot de Bellecour-Perrache pour viol sur mineur en mars 2023. Nous, on s’est saisi de la question il y a deux ans. Tous le personnel a été formé par l’association Colosse aux pieds d’argile qui lutte contre les violences sexuelles en milieu sportif et c’est maintenant une condition de recrutement. Le club défend aussi l’idée que les collectivités territoriales conditionnent les subventions aux clubs à la formation à la lutte contre les violences faites aux enfants. On salue l’engagement du maire de Lyon qui a annoncé appliquer cette mesure dès 2024. Et on aimerait que les autres maires s’y mettent.”
Illustration © Mathilda Abou-Samra
