Les réponses d’Anaïs Candel, psychologue à Lyon et fondatrice de la structure Tataya, qui valorise l’apprentissage autonome des enfants par le jeu.
Vous avez créé Tataya, une structure qui promeut la pratique du jeu libre ou dit “en autonomie”. Pouvez-vous préciser la définition du jeu libre ?
Il faut déjà savoir que le jeu est capital pour l’enfant et ce, dès sa conception. C’est sa façon d’être au monde, de grandir et d’y trouver sa place. Le jeu libre se définit comme la possibilité pour lui de construire son jeu librement, du début à la fin. C’est-à-dire sans que personne, en amont, n’ait défini d’attente ou de finalité. L’enfant va ainsi élaborer son jeu à partir de ses compétences du moment et de ses envies. De cette façon, il sera dans un contexte favorable à l’exploration qui lui permettra, sans savoir à l’avance où il va aller, de développer des apprentissages à son rythme et durablement.
Cette notion de liberté ne peut-elle pas faire peur aux parents?
Si, souvent. Mais contrairement à ce que l’on pourrait penser, le jeu libre ne signifie pas laisser faire à l’enfant tout ce qu’il veut. Le cadre reste le même que d’habitude : le respect de soi, des autres et du matériel. À l’intérieur de ce cadre et tant qu’il n’y a pas de danger, l’enfant peut agir librement, sous la supervision de l’adulte dont la proximité varie en fonction de ses besoins. En étant acteur de son jeu, l’enfant prend conscience de ses envies, de ses besoins mais également des limites de son environnement. En partant de ses propres idées, le jeu lui donne la motivation nécessaire pour essayer, chercher des solutions, persévérer et ainsi développer des apprentissages mais aussi sa concentration, sa confiance en lui et son autonomie. Des compétences indispensables pour se développer harmonieusement et trouver sa place au sein de la famille et de la société.
Cette période de confinement favorise-t-elle la mise en oeuvre du jeu libre chez chacun d’entre nous?
Oui, car elle favorise la mise en place de quatre facteurs que j’ai identifiés : la proposition d’un environnement adapté et varié pour l’enfant, la mise à sa disposition d’objets plurifonctionnels, le temps laissé à l’enfant pour jouer et la qualité de sa relation avec ses parents. Dans le détail, nous pouvons profiter de ce temps passé à la maison pour aménager des petits espaces où notre enfant trouvera naturellement sa place. On met ensuite à sa disposition du matériel “ouvert”, c’est-à-dire susceptible d’être utilisé de plusieurs façons, ce qui va stimuler sa créativité. Je conseille un matériel simple, non genré et idéalement non infantilisant, comme le matériel de loisirs créatifs, les jeux de construction ou encore jouer à faire semblant. Le confinement peut être l’occasion de trier les jeux de son enfant car un environnement clair et minimaliste l’aidera souvent à développer sa concentration. On peut aussi proposer une rotation des jeux qui lui permet de renouveler sa curiosité et d’explorer davantage le matériel proposé.
Ensuite, il faut savoir qu’un enfant met en moyenne quinze minutes pour construire son jeu. Plus on lui laissera du temps, plus il jouera longtemps et de manière autonome par la suite. Le confinement nous fait découvrir une autre temporalité, celle qui nous est propre et parfois très loin du rythme imposé par la société. Profitons-en pour lâcher prise sur des choses qui nous paraissaient impensables il y a quelques semaines, mais qui sont pertinentes pour le développement de l’enfant. Enfin, pour jouer seul et librement, l’enfant a très souvent besoin de se sentir en sécurité affective et émotionnelle. Cinq à quinze minutes passées chaque jour uniquement avec lui (sans téléphone!) peut parfois suffire à remplir ce besoin. Les moments les plus simples sont souvent ceux dont on garde le meilleur souvenir. Mais on peut aussi profiter de cette période pour créer des moments inédits comme pique-niquer dans le salon et même y monter la tente!
On voit bien, dans la pratique du jeu libre, les bénéfices retirés pour les enfants, mais qu’en est-il pour les parents?
Le jeu libre permet à chacun de trouver sa place. Comme dit précédemment, le rôle du parent est davantage dans l’organisation en amont. L’idée étant que par la suite, il puisse aussi en profiter! Mais le jeu libre permet aussi à l’adulte de jouer ou de créer, à côté de son enfant, à condition de ne pas lui proposer notre réalisation comme un modèle, mais plutôt comme quelque chose de possible. L’enfant se nourrira du plaisir que prend son parent à jouer et de l’observation de son comportement, de ses gestes, de sa concentration.
Par ailleurs, le jeu libre permet d’avoir du temps pour soi, à proximité plus ou moins importante de l’enfant en fonction de son âge. L’utilisation d’un matériel plurifonctionnel augmente sa concentration et par conséquent son temps de jeu. De plus, le jeu libre favorise chez lui la prise d’initiative et la recherche de solutions, ce qui intensifie son autonomie.
Le jeu libre peut-il également se pratiquer entre plusieurs membres d’une fratrie?
Tout à fait ! C’est d’ailleurs l’un des grands pouvoirs du jeu libre. Comme on part d’un matériel souvent neutre et qu’aucune attente n’est prédéfinie, chaque enfant va pouvoir à partir d’une même base répondre à ses propres besoins et en faire quelque chose de différent. Prenons l’exemple des cubes de construction: un tout-petit pourra être intéressé par l’exploration de leurs formes ou de leurs couleurs, un plus grand pourra expérimenter des constructions ou créer un petit monde beaucoup plus complexe. En outre, en s’observant en train de jouer, des enfants d’âges différents apprennent les uns des autres. Ils observent, imitent, inventent, coopèrent…
De quelle manière le jeu libre peut-il être mis en oeuvre auprès d’enfants porteurs de handicap, toujours dans ce contexte de confinement?
Exactement de la même manière. Et de la même façon que le jeu libre peut être proposé à des enfants d’âges différents, il peut l’être à des enfants ayant des spécificités ou des besoins différents. Même si cela parait peu facile à observer pour certains enfants en situation de handicap, ils ont tous des intérêts et c’est à partir de ceux-ci que nous allons pouvoir leur proposer des environnements favorisant le jeu et les apprentissages naturels.
Quels types de jeux libres pouvez-vous proposer concrètement?
Je vous en propose cinq. Commencez simplement, observez puis adaptez en fonction du matériel dont vous disposez et des besoins de votre enfant.
1 – Le panier à trésors: mettez à disposition de l’enfant (dès 6 mois) un contenant (panier, boîte à chaussures…) et placez à l’intérieur des objets du quotidien (brosse à cheveux, cuillère en bois, télécommande, morceau de tissu…) en veillant à ce qu’ils soient sans danger pour lui. Cette exploration libre lui permet de développer les concepts de taille, de poids, de couleurs, de formes… le plus naturellement qui soit.

2 – Le sable magique: mélangez 7 doses de farine avec 1 dose d’huile. Au besoin, ajoutez de la craie de couleur râpée pour teinter le mélange. Proposez ce mélange dans un contenant ouvert type plat à tarte ou bac de rangement en plastique. On peut ajouter des ustensiles de cuisine qui permettront des expériences de transvasement ainsi que des figurines pour favoriser l’imagination et le jeu de faire semblant.

3 – Le parcours aventure: profitez du mobilier et des objets de la maison pour créer un parcours ou proposez à l’enfant de le créer lui-même. Des tabourets, des matelas, un carton, une bouillotte, du papier bulles etc. pourront favoriser son exploration sensorielle et son développement moteur.
4 – Les créations recyclées: l’utilisation combinée de matériel de récupération (les emballages de courses par exemple) et de matériel de création basique (peinture, colle…) va libérer la créativité de l’enfant. Ce n’est pas la finalité qui importe, mais le processus de création dans lequel l’enfant va s’engager.

5 – La fabrication de peinture ou pâte à modeler comestible: profitez des fonds de placards (farine, fécule de pomme de terre, colorant alimentaire) pour fabriquer de la peinture ou de la pâte à modeler comestible (recette à retrouver facilement sur internet) en s’installant sur une nappe cirée ou un vieux drap, ce qui va favoriser la libre exploration sensorielle… avec les mains, les pieds, mais aussi des outils, des ustensiles…

Psychologue spécialisée dans l’accompagnement de personnes en situations de handicap depuis une dizaine d’années, Anaïs Candel suit également à distance les familles qui en ressentent le besoin afin de leur permettre d’adapter l’espace de leur domicile.
Plus d’infos sur le site tataya.fr et à jeveuxjouer@tataya.fr. Inspirations et propositions de jeux libres sur le compte Instagram @tataya_fr
Photos © DR
Propos recueillis par Clarisse Bioud