Les réponses de Françoise Guérin, psychologue-clinicienne et romancière, à Caluire-et-Cuire.
- Que peut-on dire aux enfants pour les rassurer face à l’invasion du coronavirus?
Il n’est pas facile de les rassurer car nous sommes nous-mêmes anxieux et dans l’expectative. Avec un jeune enfant, évitez les détails et de longs exposés qu’il n’écoutera pas. Attendez ses questions. Si vous ne savez pas répondre, dites que vous allez réfléchir, vous renseigner, et que vous lui répondrez plus tard, après le goûter par exemple. On peut dire que le virus n’a pas de jambe et qu’il ne peut entrer dans la maison que si quelqu’un le rapporte sur ses mains sales ou dans sa gorge. C’est pour ça qu’on évite de sortir, qu’on se lave souvent les mains et qu’on contrôle sa température. On est donc en sécurité dans la maison car c’est le travail des parents d’empêcher le virus de rentrer.
Même si c’est un sujet sérieux, n’hésitez pas à le désamorcer par le jeu ou le langage : « Dehors le virus ! Non ! Tu n’entreras pas dans ma maison ! » Les petits sont sensibles aux formules qui renvoient aux comptines et aux histoires comme celle des Trois petits cochons qui ne veulent pas laisser entrer le loup. Les livres et les contes sont une belle ressource dans ces temps troublés.
- Le coronavirus n’est a priori pas dangereux pour les enfants. Mais ils en sont des vecteurs potentiels, ce qui peut les inquiéter vis-à-vis des adultes de leur famille. Que peut-on leur dire à ce sujet?
Évidemment, pas question de culpabiliser les enfants sur le fait qu’ils pourraient contaminer les grands-parents ! Même en maternelle, les enfants ont entendu parler du virus. Ils savent, par exemple, qu’il faut se laver les mains, éternuer dans son coude, ne pas toucher à tout et ne pas se faire de bisous. Avec les plus jeunes, il convient d’être concret : dire que le coronavirus est si petit qu’il faut un appareil spécial qu’on appelle un microscope pour le voir. Et qu’il provoque, chez certaines grandes personnes, une maladie qui donne la fièvre et fait beaucoup tousser. Personne n’a envie de l’attraper et d’être obligé d’aller se soigner à l’hôpital. Il est inutile d’en dire trop.
Pour supporter l’absence des réunions familiales, on peut faire des photos du confinement au quotidien pour les partager par e-mail ou messagerie instantanée. Mais aussi tenir un journal, tourner des minis vidéos. Se focaliser sur la date de retour à la normale, même si elle reste floue, permet de supporter le manque et l’attente.
- Comment adapter son discours dans une fratrie qui comprend un tout-petit et un ado? Vis-à-vis des ados, comment leur faire comprendre la réalité de ce qui se passe sans les faire paniquer?
Quand c’est possible, il vaut mieux prendre des temps différents pour parler des sujets graves avec les enfants. Avec les ados, il peut être très intéressant de leur demander les dernières infos qu’ils ont recueillies sur les réseaux qu’ils fréquentent. C’est l’occasion de s’intéresser vraiment à ce qu’ils regardent sur Internet, pas pour censurer mais pour comprendre leurs centres d’intérêt sans les critiquer. On peut faire le tri avec eux entre les infos fiables et les fake-news mais avec délicatesse, sans dénigrer leurs sources d’informations, au risque qu’ils ne partagent plus rien avec les adultes. Questionner en mode : « Et toi, tu y crois ? » peut suffire à créer un écart salutaire entre une infox et la personne qui l’a reçue.
- Peut-on ou doit-on parler de cette situation anxiogène à son bébé?
Pourquoi pas ? Avec des mots adaptés, bien sûr. Car ses habitudes ont changé : pas de promenade, il ne voit plus sa nounou, les dames de la crèche, les copains. À la place, il a ses parents, ses frères et sœurs sur le dos toute la journée. On peut mettre des mots sur l’absence de tel ou telle, sur la joie qu’on éprouvera quand ce sera fini, etc. C’est une façon de dire que le monde extérieur n’a pas disparu dans le néant. Les bébés sont sensibles aux paroles qu’on leur adresse en tête à tête, pour accompagner les changements qu’ils traversent.
- Comment ne pas leur transmettre nos propres peurs?
En n’attisant pas notre angoisse par trop d’informations non recoupées qui circulent sur les réseaux sociaux. En évitant de confronter les enfants aux images des journaux télévisés. Et en évitant d’échanger sur ce sujet dans la même pièce qu’eux, même à voix basse. Il avoir en tête que les petites oreilles sont souvent bien affûtées et que les enfants qui jouent entendent et comprennent tout.
Propos recueillis par Clarisse Bioud
Le dernier livre paru de Françoise Guérin est Maternité, aux éditions Albin Michel
