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Quelle place la ville fait elle aux enfants ?
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Quelle place la ville de Lyon donne-t-elle aux enfants?

Publié le 07/04/2021

Voitures, pollution, foule d’inconnus… : pour les enfants, la ville est souvent synonyme de dangers et d’interdits. Mais elle peut aussi se transformer en fantastique terrain de jeux pour peu qu’on repense l’espace urbain à leur hauteur. Ça tombe bien : c’est l’un des projets du nouveau maire de Lyon. De la cour de récré aux aires de jeux, en passant par le chemin de l’école, Grains de Sel explore les pistes qui pourraient faire de Lyon une ville plus accueillante pour ses mini-citoyens.

Pour se faire une idée de la façon dont les enfants voient la ville, il suffit de plier les genoux. À 1,20 mètre du sol, on se rend vite compte que le regard est arrêté par le toit des voitures – ce qui devient problématique pour traverser la rue – que les trottoirs sont trop hauts ou que les barrières de sécurité zèbrent l’horizon. Ce n’est qu’une petite partie de l’expérience quotidienne vécue par nos citadins en herbe, mais déjà l’exercice suffit pour comprendre que la ville n’a jamais été pensée pour les enfants. Une aberration, lorsqu’on sait que 70 à 80% des petits Européens vivent en milieu urbain. Pire, pour Stéphanie Cagni, la créatrice de l’Atelier Pop Corn, une Scop lyonnaise favorisant le dialogue entre les citoyens et les professionnels de la ville, l’espace urbain est pensé pour les enfants et non avec eux: «Cela change la donne. On a pensé à leur place en oubliant notre enfant intérieur, ce qui a conduit à créer des espaces aseptisés où les normes et la sécurité priment. »

Pour aller plus loin sur le sujet de la place des enfants dans l’espace public, on vous conseille d’écouter le podcast Pouce! d’Emilie Lebel

LAISSE BÉTON

Pour la médiatrice, les aires de jeux sont l’exemple type de cette hyper précaution vis-à-vis des enfants : « Elles sont lissées, avec des sols souples pour que les enfants ne se fassent pas mal, des jeux standardisés qui ne laissent plus aucune part à l’imagination et une absence totale de nature. On restreint l’espace et on le cerne de barrières afin que l’enfant soit constamment sous le regard de l’adulte et évite toute prise de risques. » Or, comme le souligne Stéphanie Cagni, cette prise de risque fait partie de l’apprentissage. Tomber, s’égratigner, se couper, se cogner occasionnent autant de petits bobos bénéfiques au développement de chacun. Et le constat est identique dans les cours de récréation, sur-bétonnées, sans végétation et où les jeux se réduisent à quelques marquages au sol tout aussi standardisés, marelle d’un côté et terrain de foot de l’autre.

Là encore, c’est la sécurité qui l’emporte avec un espace conçu pour être sous la surveillance des adultes. Mais quand on écoute les principaux concernés, ceux-ci réclament plus de verdure, des arbres pour grimper et des sols moins durs pour éviter de se faire mal lorsqu’ils chutent. « Nous les enfants, ce qu’on aime c’est grimper, bouger et s’amuser », analyse Valentina du haut de ses 8 ans. « Les adultes pensent que la cour est faite pour que les enfants se défoulent, mais la nôtre est un peu vide alors que celle de la maternelle est beaucoup mieux : ils ont un toboggan, de la verdure…», regrette la petite fille. Les cours de récré semblent donc peu adaptées aux besoins des enfants, d’autant plus en cette période de crise sanitaire où les classes sont séparées en extérieur par des barrières réduisant les espaces comme peau de chagrin : « On est comme dans une coquille », image poétiquement Valentina.

LA VOITURE, CET OGRE URBAIN

Si les espaces conçus spécialement pour les plus jeunes ne correspondent ni à leurs besoins ni à leur envie, c’est un euphémisme de dire que le reste de la ville n’a pas du tout été pensé pour eux, comme s’ils en étaient absents. « Les enfants ont été de plus en plus cantonnés à des espaces normés et sécurisés. Leurs seuls besoins qui ont été pris en compte sont ceux de scolarisation et de déplacement, remarque le géographe et directeur de l’École urbaine de Lyon, Michel Lussault. Finalement, l’expérience de la ville que fait un enfant est une expérience tronquée. Il ne connaît que le trajet, très encadré, de son domicile à son école ou à des aires de jeux. »

Depuis les années 1950, il semble que les plus jeunes ont été peu à peu exclus de l’espace urbain, la faute à un préjugé bien ancré dans la société : celui que la ville est dangereuse pour les enfants. Une idée qui a pris de l’ampleur, parallèlement à l’explosion de la place de l’automobile. Car c’est elle, le principal danger pour les enfants, qui risque aussi bien de les heurter que de les empoisonner par sa pollution. « La ville a été aménagée d’abord pour satisfaire les usages automobiles, analyse Michel Lussault qui relève un paradoxe : On sécurise de plus en plus les espaces urbains réservés aux enfants alors que dans un même mouvement, la ville leur devient de plus en plus inhospitalière. » Pour le géographe, il est urgent que la ville se délivre de sa dépendance à l’automobile : « Nous sommes culturellement imprégnés par l’idée que le seul déplacement urbain valable, c’est celui qui va vite. Or l’enfant prend son temps. Il en a besoin pour tâtonner, se faire peur, rire, rencontrer les autres, jouer… »

Autrement dit, il est essentiel pour le développement des petits citadins de s’approprier l’espace urbain. Une conception partagée par Sanela Lingo, psychologue et psychothérapeute installée à Rillieux-la-Pape (lire son interview plus bas) : « Pour les enfants, la ville est un espace de découverte, d’expérimentation, de stimulation et de socialisation au sein duquel ils peuvent gagner en autonomie, en imitant notamment les adultes. » Mais est-ce bien responsable de laisser ses enfants gambader librement dans les rues, pire, sans surveillance ? Si les dangers sont bien présents, la psychologue estime qu’il ne faut pas trop se focaliser dessus, même si tous les parents sont anxieux, « le risque étant ensuite que l’enfant intègre trop l’anxiété de ses parents et s’interdise son propre désir de sortir seul ». Pour la spécialiste, la meilleure façon d’aider son enfant à être autonome dans l’espace urbain réside dans l’écoute et le dialogue : « Il faut l’informer mais aussi écouter et accompagner son désir d’autonomie, sans jamais rien lui imposer. »

LE GRAND PROJET D’APAISEMENT URBAIN

Mettre la ville à hauteur d’enfant passerait alors aussi bien par la refonte des infrastructures que par l’éducation à l’autonomie. Mais qu’en est-il de la ville de Lyon ? La capitale des Gaules a beau apparaître en tête de liste de nombreux classements sur les villes les plus agréables à vivre, est-elle pour autant adaptée aux enfants ? « La réponse est non, tranche Michel Lussault, comme aucune autre grande ville. Depuis 30 ans, la taille des logements neufs n’a cessé de diminuer, les espaces domestiques sont sous dimensionnés pour les enfants et à l’extérieur, tout est fait pour les empêcher de jouer. »

Mais cela pourrait changer. Car mettre la ville à hauteur d’enfant est l’un des engagements de Grégory Doucet. Le nouveau maire écologiste a même nommé une délégation à la Ville des enfants. Et les choses commencent à bouger doucement, notamment avec un grand projet d’apaisement urbain autour des écoles. « En moyenne 63 enfants par an à Lyon se font renverser à proximité de leur école. Si ces accidents sont heureusement rarement graves, il est urgent d’agir », justifie Tristan Debray, délégué à la Ville des enfants. La mairie a déjà commencé à piétonniser ou à créer des zones d’apaisement aux abords des écoles et des crèches lyonnaises, et envisage de généraliser les pédibus pour permettre aux enfants d’aller seuls à l’école. Une stratégie d’apaisement qui s’intègre dans une volonté plus globale de réduire la place de la voiture en développant davantage les transports en commun, les zones 30 ou encore en élargissant les trottoirs.

Les familles seraient les grandes gagnantes de la ville apaisée. « On constate que beaucoup quittent la ville car cette dernière est perçue comme une succession d’interdits pour les enfants, alors on veut faire en sorte que les familles se sentent bien en ville en renforçant la sécurité mais aussi en donnant plus d’autonomie aux plus jeunes. » Également chargé de la question des aires de jeux, Tristan Debray veut mieux les répartir entre les arrondissements et les imagine moins stéréotypées et plus inclusives pour les enfants en situation de handicap : « On aimerait y intégrer des jeux plus écologiques bien-sûr, mais aussi plus libres, laissant la possibilité aux enfants de développer leur imaginaire avec des endroits pour se cacher comme des tunnels ou des rondins en bois, du végétal, de l’eau… » Les tout-petits ne sont pas oubliés, avec des jeux de manipulation qui les inciteront à développer leur motricité fine et leur offriront plus de possibilités qu’un « toboggan et une échelle dont ils font dix fois le tour ».

LA COUR DE RÉCRÉ REPREND DES COULEURS

Mais l’enjeu principal de la nouvelle équipe municipale, c’est bien la fameuse cour de récré, le premier espace public que fréquentent les enfants, le lieu principal de leur socialisation. Un espace que Stéphanie Léger, adjointe à l’Éducation, trouve bien trop bétonné à son goût : « Les cours se transforment en îlots de chaleur l’été pour les écoles comme pour les bâtiments autour. Et puis ce sont des lieux tristes et pauvres en termes d’espaces à vivre, il y a de moins en moins de jeux. Heureusement qu’il y a encore des enfants pour courir, crier, chanter… » L’élue souhaite favoriser le « jouer-ensemble » en repensant l’organisation traditionnelle de la cour, bien souvent centralisée avec un espace réservé aux activités sportives, majoritairement pratiquées par les garçons, et les autres enfants qui se contentent de jouer autour.

Et le végétal serait l’allié principal pour repenser les lieux : « Cela va créer des espaces plus intimes et des cheminements différents. Les jeunes pourront se retrouver par petits groupes, avec des activités différentes, ce qui ne manquera pas d’apaiser les tensions. L’autre intérêt de végétaliser les cours, c’est d’apporter la nature auprès des enfants. Ils n’évolueront plus dans un espace gris mais en couleurs, au contact du végétal et de la faune grâce à des vergers, des potagers… Il y a là un aspect ludique et pédagogique », explique Stéphanie Léger. Les sols des cours ne seront pas en reste : adieu le béton tout dur qui fait mal quand on tombe, bonjour les matériaux plus naturels qui attirent moins la chaleur, comme l’herbe, les copeaux de bois ou encore les sols mous qui permettront de jouer aux casse-cous sans bobo.

Côté jeux, l’adjointe à l’Éducation compte aussi innover en s’inspirant notamment de l’aire de jeux du Parc Blandan, avec davantage de volumes, des talus, des constructions en bois… « Fini la cour tristement plate », lance l’élue, qui réfléchit également à proposer des jeux mobiles, comme ceux du concept lyonnais Ludimalle. « On pourrait introduire des jeux traditionnels comme les pneus de tracteur ou les dînettes que les enfants s’approprieront à leur manière, en utilisant par exemple des couverts pour faire de la musique. »

L’ENFANT, UN ACTEUR URBAIN À PART ENTIÈRE

Si Stéphanie Léger ne manque pas d’idées, elle ne compte en revanche rien imposer mais travailler en concertation avec les principaux intéressés : les enfants, mais aussi les enseignants, les parents et le personnel d’entretien des écoles. L’idée est d’imaginer la ville pour les enfants avec les enfants. « Mettre la ville à hauteur d’enfant, ça ne signifie pas seulement repenser l’urbanisme à leur hauteur, pointe Tristan Debray, mais aussi leur ouvrir les institutions et prendre en compte leur avis. Bref, respecter la Convention internationale des droits de l’enfant. » La Ville compte ainsi généraliser les conseils d’arrondissement des enfants, sur le modèle de celui qui existe déjà dans le Premier depuis 2014, et créer un conseil municipal des enfants. « On se rend compte que les enfants sont déjà très sensibles aux questions environnementales et à la place des voitures », remarque Tristan Debray.

De son côté, Marine Simoes est également persuadée que les plus jeunes sont des acteurs à part entière de la ville qu’il faut écouter. La Lyonnaise coordonne Chic de l’archi!, une association qui sensibilise le jeune public à la culture urbaine et à l’architecture. « Il ne faut pas croire que les enfants ont des envies fantaisistes, ils sont au contraire très réalistes et comprennent bien les enjeux de la ville quand ils sont accompagnés, prévient l’architecte, qui note une grande différence avec les adultes. Les enfants sont très généreux, ils ont une vision globale des autres publics qui pourraient fréquenter les mêmes lieux qu’eux. Ils ne sont pas focalisés sur leur propre besoin. »

Écouter les enfants pourrait-il faire de Lyon une ville meilleure pour tout le monde ? Tous les intervenants de ce dossier soulignent en tout cas à quel point adapter la ville aux plus jeunes serait bénéfique pour chacun. À l’instar de Michel Lussault, qui reprend le concept de ville buissonnière, développé par Thierry Paquot, philosophe à l’Institut d’urbanisme de Paris : « Réfléchir à la ville buissonnière, qui serait autre chose qu’une ville fonctionnelle et dont les enfants pourraient explorer l’espace, c’est aussi se donner la possibilité, pour nous les adultes, d’expérimenter une ville plus riche. » Cela, la municipalité l’a bien compris, elle qui a pour objectif, en fin de mandat, d’ouvrir les cours de récréation végétalisées au public les week-ends. La preuve, s’il en est encore besoin, que les enfants seront les acteurs à part entière de la ville du futur.

Merci aux enfants de la classe de CE2 de Madame Marie-Claire Leblond, de l’école élémentaire Robert-Doisneau, Lyon 1er, pour leurs témoignages.

INTERVIEW DE SANELA LINGO, PSYCHOLOGUE

« On ne peut pas imposer à son enfant d’aller seul à l’école si l’envie ne vient pas de lui. »

Les enfants perçoivent-ils la ville comme un espace dangereux ?
Jusqu’à l’âge de 9 -10 ans, les enfants ne se focalisent pas sur le danger que peut représenter la ville. Pour eux c’est un lieu de sociabilité, de rencontre, de surprise, de confrontation aux autres. Ce n’est que plus tard, une fois les normes des adultes intériorisées, qu’ils perçoivent le danger et appréhendent en particulier mieux la circulation.

Comment accompagner son enfant vers l’autonomie dans l’espace urbain?
L’apprentissage de l’autonomie commence assez tôt : c’est en imitant ses parents, notamment à travers le jeu, que l’enfant apprend à devenir autonome et à se comporter dans la rue. Il faut ensuite être à l’écoute de son désir : on ne peut pas lui imposer de sortir seul si le désir ne vient pas de lui. Et si cette envie se manifeste, on peut lui demander pourquoi.

Faut-il insister sur les risques qu’il encourt dans la rue ? Pas d’une manière autoritaire mais toujours en étant dans l’échange avec lui, en lui demandant par exemple quels sont les dangers qu’il perçoit puis en partant de sa parole pour lui expliquer quels dangers nous, en tant qu’adulte, nous percevons. Il faut remettre l’enfant à sa place de sujet pour se rendre compte s’il est capable d’être autonome.

À partir de quel âge un enfant peut-il sortir seul ?
À partir de 8-9 ans, pour des petits trajets s’il en manifeste l’envie. S’il veut aller à l’école tout seul, on peut le rassurer les premières fois en l’accompagnant sur la moitié du chemin. S’il veut aller acheter du pain, on peut d’abord l’accompagner jusqu’à la boulangerie en restant dehors et le laisser se débrouiller seul à l’intérieur. C’est important d’accompagner son enfant de manière progressive, en lui montrant qu’on a confiance en lui.


Texte : Caroline Sicard • Illustrations : Camille Gabert

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