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Enfant difficile à table que faire ? © Susie Waroude
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Enfant difficile à table : que faire ?

Publié le 03/04/2023

Quand un enfant est difficile à table, le repas peut vite virer au cauchemar. Soucieux de lui offrir une alimentation équilibrée, ses parents se retrouvent démunis face à son refus de manger et en viennent à appréhender le repas. Caprices, phase normale de néophobie alimentaire ou autres troubles… Une diététicienne nutritionniste, une psychologue et une orthophoniste nous éclairent sur ces comportements face à l’assiette et nous donnent des astuces pour que plaisir et partage restent au menu du repas familial.

Lire la suite du dossier : Cuisiner avec les enfants, un bon moyen de leur faire manger de tout

Il triture les aliments, trie les morceaux dans l’assiette, refuse les légumes et se méfie comme de la peste des « trucs blancs »? Il semblerait que cet enfant soit difficile à table… En ne touchant pas à son assiette, il met en échec les meilleures intentions alimentaires de ses parents et laisse ces derniers désarmés. À l’image de Muriel, mère de Thomas (9 ans), Gaspard (8 ans) et Angèle (7 ans). « C’est un vrai casse-tête pour préparer les repas ! Il n’y en a pas un qui mange la même chose ou comme nous.

Déjà, pas de légumes ! J’ai tout essayé: ils ne veulent même pas ouvrir la bouche pour goûter ! Ils ne mangent pas de fruits non plus, sauf en compote. On leur fait des lasagnes maison : ça ne fait pas. Donc à part des pâtes et du jambon, ils ne mangent pas grand-chose, témoigne cette maman pour qui le repas génère de l’appréhension et de la tristesse. Quand je teste des recettes sympas en espérant qu’ils mangent et que ça ne le fait pas, je suis désespérée. »

Lire aussi notre dossier Comment leur faire aimer les légumes ?

Enfant difficile à table: caprice ou néophobie alimentaire ?

Il est normal de se sentir démuni lorsque son enfant refuse de manger. Pourtant, avant de s’inquiéter ou de se flageller, il est bon d’avoir en tête que la grande majorité des enfants en bas âge repoussent l’assiette. Ce phénomène s’appelle la néophobie alimentaire. Céline Leprince, diététicienne nutritionniste à Villeurbanne, explique : « Il s’agit d’un développement normal chez l’enfant qui apparaît autour de 18 mois et 2 ans. Jusqu’ici, il n’avait pas conscience de ce qu’il mangeait. À présent, il prête attention; une méfiance s’installe.» Elle rassure : « On dit que l’enfant fait des caprices, mais non : c’est une phase qui durera plus ou moins longtemps. En France, on n’a pas assez conscience de ce phénomène. »

La néophobie se qualifie par une phase de sélectivité alimentaire, surtout vis-à-vis des légumes. L’enfant refuse les aliments nouveaux et peut en rejeter certains qu’il appréciait, notamment s’ils lui sont servis sous une forme différente. Ainsi, il risque de ne pas reconnaître la carotte découpée en rondelles qu’il avait l’habitude de manger en purée. « Cette phase passe dans 90% des cas, indique la nutritionniste. Mais chez certains, ça peut se cristalliser, surtout si des parents peu sûrs d’eux abandonnent certains aliments. On entre alors dans un engrenage où le cercle alimentaire de l’enfant risque de se réduire. » Elle encourage donc les parents à ne pas lâcher l’affaire durant cette phase : « Continuez à lui faire goûter plein de choses. Surtout, ne remplacez pas un aliment par un autre que l’enfant préfère. »

Comment éviter que le repas ne tourne au cauchemar ?

Mais tenir bon nécessite parfois des nerfs d’acier. « Quand l’enfant fait des caprices en espérant que le parent cède, il teste les limites, avertit Céline Leprince. Si à chaque fois qu’il dit “j’aime pas”, on lui sert autre chose, il flaire le filon !» Alors, comment éviter que le repas tourne au cauchemar ? « D’abord, ne pas hésiter à laisser place à l’autre parent, conseille la nutritionniste. Le lien entre affect et alimentation est grand chez les mamans : quand l’enfant n’aime pas quelque chose, on est tenté de lui faire plaisir. Donc pour déculpabiliser la maman, on investit le papa qui a souvent moins de difficultés à faire goûter.» C’est ce qu’a fait Muriel : « Il y a quelque temps, j’ai un peu lâché l’affaire et c’est mon mari qui prend le relais. Les enfants ne mangent pas plus, mais lui arrive à le prendre moins à cœur.»

Si l’enfant persiste à ne rien manger, inutile de se rendre fou : Céline invite à travailler la notion de faim. «On explique à l’enfant qu’il peut quitter la table, mais qu’il n’aura rien d’autre, expose-t-elle. S’il a faim une heure après, on lui propose à nouveau l’assiette de brocolis.» Une approche flexible que valide Anne-Cécile Bonhotal, orthophoniste à Vaulx-en-Velin formée aux troubles de l’oralité alimentaire, qui conseille de limiter la durée du repas: « Au-delà de 30 minutes, ça ne sert à rien d’insister: l’enfant est fatigué, les parents vont s’énerver et tout le monde sera perdant », explique-t-elle. L’important étant en effet que le repas reste un moment apaisé.

« Manger est un acte de transmission socioculturel. Il porte une dimension nourricière, mais aussi relationnelle.« 

Amélie Guigou, psychologue à Lyon 7e

Le repas, une expérience affective et sociale

Car « le temps du repas, c’est donner à manger, mais c’est aussi donner de l’amour », explique Céline Leprince qui a cofondé Sens et Savoirs à Villeurbanne. L’association de promotion de la santé propose entre autres des formations entre parents autour de l’alimentation, dont l’une porte sur le fonctionnement familial. « Manger est un acte de transmission socioculturel, confirme Amélie Guigou, psychologue à Lyon 7e. Il porte une dimension nourricière, mais aussi relationnelle. Le premier moment où l’on mange, c’est avec la mère. C’est là que s’ancre ce lien fort avec elle. »

Chez Muriel, Thomas, le fils aîné est le plus compliqué à table. « Quand il était petit, il mangeait bien, rapporte-t-elle. Puis j’ai été enceinte. Là, il a commencé à ne rien manger. Quand son frère est né, il avait 15 mois : c’est devenu vraiment compliqué. Je me suis demandé si ça avait quelque chose à voir avec l’arrivée du petit frère…» Quelle que soit la réponse, « la nourriture est un lieu de contrôle, affirme la psychologue. Dans des situations de disputes parentales, ne pas manger peut être un moyen pour l’enfant de reprendre le contrôle sur la situation. Et parfois, le refus de manger, c’est aussi le refus de se retrouver tous ensemble

Enfant difficile à table que faire © Susie Waroude
Le petit Léon qui fait la couverture du Grains de Sel avril 2023 © Susie Waroude

Faire du repas un moment positif

Le fonctionnement familial a donc toute son importance. « Les études montrent qu’un rapport sain à l’alimentation passe par le fait que le repas se passe bien dans l’enfance, explique Amélie Guigou. On
crée un climat apaisé, on met le couvert ensemble… Ainsi, l’enfant apprend très tôt que c’est un moment de partage. Si le repas est un lieu de conflit, alors le rapport à la nourriture risque d’être compliqué.
» La psychologue insiste aussi sur le fait que « l’enfant ne doit pas être vu comme une contrainte, mais comme un sujet sur le plan émotionnel. Cela nécessite d’être vraiment présent. Si le parent vit le fait de nourrir son petit comme une obligation, alors ça va se ressentir chez l’enfant. »

Pour que le parent profite lui aussi de ce moment, Amélie Guigou invite à prendre le temps: « C’est important que ce soit vécu comme un plaisir partagé. S’il n’y a aucun partage, si les parents ne sont pas là sur le plan émotionnel, sont angoissés parce que l’enfant ne mange pas ou sont absents car ils sont sur leur téléphone, ça peut avoir des incidences sur comment est vécu le repas par l’enfant. » Céline Leprince est catégorique : « Utiliser les écrans pour faire manger les enfants, c’est non : ils ne sont pas dans ce qu’ils font et ne développent pas le plaisir de manger ni la sensation de satiété. Enfin, cela empiète sur la communication, qui est très importante à table. Il vaut mieux parler avec l’enfant, lui expliquer ce qu’il a dans l’assiette, pourquoi c’est bon pour son corps, s’enquérir de sa journée…»

À table et en cuisine, un moment ludique

C’est le credo de l’association Sens et Savoir à Villeurbanne. «On travaille vraiment la notion de plaisir plutôt que d’aller vers la punition, témoigne Céline. Le chantage au dessert, on oublie. Ce n’est pas efficace.» À la place, elle donne des idées : «Pour les plus petits, on peut faire le bisou aux légumes ; la fois suivante, peut-être qu’il voudra bien le mettre dans la bouche.» Mais le jeu peut aussi fonctionner chez les plus grands : «On peut travailler l’aspect visuel de l’assiette en créant des petits personnages avec les
aliments, imaginer des choses ludiques, colorées…
», évoque la nutritionniste. Chez Muriel, la soupe de courge du papa passe mieux lorsqu’elle s’appelle « soupe Casimir » pour sa couleur orange.

«On peut aussi cuisiner les légumes autrement, poursuit Céline, proposant “des croquettes de chou-fleur” qu’on appellera petits gâteaux. » Enfin, « dès tout petit, on peut faire venir l’enfant en cuisine avec nous : il peut mélanger, toucher, se lécher le doigt, liste la nutritionniste. Cela lui permet de découvrir les aliments étape par étape, en sollicitant les cinq sens.» Il est aussi possible de l’inclure dans le choix du menu en l’amenant à choisir les légumes au marché. « On ne met pas assez les enfants en cuisine, conclut Céline, convaincue. Or, ça fait travailler la motricité fine et crée une complicité. » Cela permet aussi de lui inculquer le goût d’une alimentation saine.

« Mettre l’enfant en cuisine permet de travailler la motricité fine et crée une complicité.’

Céline leprince, nutritionniste dieteticienne

Changer les règles du repas

« Une technique utilisée dans les crèches et qui marche plutôt bien, c’est de présenter à l’enfant tout le repas en une fois, entrée, plat, dessert, et le laisser manger à sa guise, propose l’orthophoniste Anne-Cécile Bonhotal. C’est toujours le parent qui décide du menu, mais il laisse à l’enfant une autonomie: s’il veut tremper des bouts de fromage dans le yaourt au chocolat, pourquoi pas. Ainsi, le dessert n’a pas le rôle de récompense. Sinon, bien souvent, le parent lâche l’affaire et passe au dessert.»

Si l’enfant est très difficile, elle propose d’inclure tout de même « un aliment copain » pour être sûr qu’il mange un minimum. « Et s’il fait une comédie, tant pis, il ne mange pas: il mangera quand il aura faim, conclut-elle simplement. Dans cette technique, c’est le regard de l’enfant sur le repas qui change: le repas n’est plus une contrainte. » L’impact est tout aussi positif pour les parents, autorisés à lâcher du mou.

Enfant difficile à table: quand faut-il s’inquiéter ?

Les professionnelles sont unanimes : « S’il y a une cassure de la courbe de croissance dans le carnet de santé, il faut consulter pour savoir d’où vient le problème.» Quelle peut en être l’origine ? « Si la phase de néophobie alimentaire perdure, c’est qu’il peut y avoir un manque éducatif ou quelque chose de pathologique», indique la psychologue. « Un trouble de l’oralité commence avant 2 ans, au moment de la diversification alimentaire, poursuit la nutritionniste. Et là, c’est un orthophoniste spécialisé dans les troubles de l’oralité qu’il faudra aller voir. » Anne-Cécile Bonhotal est formée aux troubles de l’oralité alimentaire (TOA), aujourd’hui appelés plutôt troubles alimentaires pédiatriques (TAP). Elle évoque les signes qui doivent mettre la puce à l’oreille.

« Si l’enfant mange moins de 15 aliments alors que le parent les lui propose, c’est un indice », commence l’orthophoniste, évoquant une hypersélectivité qui se fait souvent selon des critères étonnants : « Il arrive que l’enfant n’accepte qu’une marque spécifique.» Pendant longtemps, l’aîné de Muriel n’acceptait que les coquillettes. « Les TAP s’accompagnent aussi souvent de difficultés de développement du langage, reprend l’orthophoniste. On note aussi une difficulté à passer aux morceaux ou avec les textures des aliments et mélanges de textures comme les pâtes en sauce. »

Et pour cause, « les TAP s’ancrent souvent dans des problématiques de sensibilité sensorielle. Ce sont souvent des enfants qui ne supportent pas les étiquettes des vêtements, d’avoir les mains sales…», continue Anne-Cécile. Dans ces cas-là, elle oriente la famille vers les psychologues. De façon générale, pour elle, « quand les parents en viennent à appréhender le repas, c’est déjà une bonne raison de consulter pour faire un bilan.»

« Il y a beaucoup d’angoisses parentales qui font que le repas peut devenir un problème alors qu’en fait l’enfant est dans la courbe de poids« 

Amélie Guigou, psychologue à Lyon 7e

Dédramatiser et déculpabiliser les parents

Mais en dehors de ces exceptions, les professionnelles appellent à relativiser : si la diversification alimentaire a été bien menée et que les parents ont tenu bon pendant la phase de néophobie alimentaire, en dehors des cas de dépression, les enfants mangent selon leur faim. «Je pense qu’il y a beaucoup d’angoisses parentales qui font que le repas peut devenir un problème alors qu’en fait l’enfant est dans la courbe de poids», raisonne la psychologue. Si Muriel s’inquiète d’éventuelles carences chez ses enfants, «le médecin dit qu’ils sont en bonne santé, la courbe de croissance est stable.» Amélie Guigou invite ainsi à une certaine flexibilité : «C’est important que l’enfant mange équilibré, mais si les angoisses des parents sont trop présentes, ça peut le bloquer. La problématique, c’est aussi comment les parents se font confiance.»

Pour Céline Leprince, il faut dédramatiser l’enfant difficile à table : «Tout le monde pense avoir la bonne parole avec la nourriture et les parents sont culpabilisés sur tout. Or il y a des enfants plus sensibles avec lesquels il faudra travailler plus longtemps.» De son côté, Muriel se réjouit d’avoir peut-être trouvé une piste avec son fils aîné : «Thomas a accepté de goûter un nem et il a trouvé ça délicieux. On va peut-être finir par s’en sortir !» «Il y a des aliments qu’on n’aimera jamais, d’autres qu’on n’aimera que plus tard, confirme la nutritionniste. Un jour, votre enfant vous dira “Mais j’ai toujours aimé le brocoli !”»


Article rédigé par Louise Reymond • Photo d’ouverture: le petit Léon © Susie Waroude

Enfant difficile à table que faire ? © Susie Waroude

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