Le Guide
des sorties et loisirs des familles
dans la métropole de Lyon
Renversante de Florence Hinckel. Livre jeunesse pour lutter contre les stéréotypes de genre
Accueil Dossiers Litté­­ra­­ture jeunesse: halte aux stéréo­­types de genre !
Share

Littérature jeunesse: halte aux stéréotypes de genre !

Mis à jour le 02/01/2024

Premier média de socialisation des enfants, le livre est une véritable grille de lecture des comportements valorisés dans la société. Or, les stéréotypes de genre y persistent. Personnages féminins subalternes, manque d’héroïne, personnages masculins forcément téméraires, ces clichés véhiculent une vision réductrice des garçons et des filles auprès des enfants, au risque de les enfermer dans des rôles prédéfinis. Depuis quelques années, des auteur·trices et éditeurs·trices proposent néanmoins des modèles plus divers et réalistes, en phase avec l’époque.

Lire la suite de ce dossier: Mortelle Adèle, «L’acceptation de soi au-delà du clivage fille-garçon»

Imaginez un monde où le féminin l’emporte sur le masculin et où la société est fondée sur la Déclaration des droits de la femme. Dans ce monde, les hommes s’occupent des enfants à la maison, les garçons doivent cacher leurs tétons à la piscine tandis que les filles sont encouragées à prendre leur place. Ce monde, c’est celui qu’a inventé Florence Hinckel dans son livre Renversante (dès 10 ans), qu’elle présentera à la Fête du livre jeunesse de Villeurbanne en avril. Elle y met en scène Léa et Tom, frère et sœur, dans des situations du quotidien en inversant les rôles de fille et garçon.

Par ce procédé percutant, le livre interroge le genre en tant que rôle social assigné selon le sexe. « Au niveau biologique, tout reste pareil : c’est toujours les femmes qui tombent enceintes, etc., raconte Florence. Mais c’est le discours autour qui change. Une manière de montrer que cet ordre social dans lequel les femmes sont dévalorisées tient à une histoire qu’on se raconte à l’échelle de la société. Avec ce livre, j’ai voulu changer cette histoire: dans un monde où les femmes portent l’enfant et accouchent, c’est normal que les hommes s’occupent des enfants à la maison. De la même manière, les règles ne sont pas taboues, mais célébrées car synonymes de vie. »


Le genre, à quoi ça rime ?

Avant tout, le genre est à différencier du sexe. Le «sexe» renvoie à des caractéristiques biologiques, tandis que le «genre» désigne une construction sociale et culturelle. Il renvoie à un système de représentation ancré dans l’inconscient collectif qui attribue des caractéristiques dites féminines ou masculines aux individus en fonction de leur sexe. Ces stéréotypes de genre assignent alors des rôles définis aux hommes et aux femmes, et produit un traitement social différent.


Le genre, une histoire d’inégalités

En inversant ainsi les genres, l’autrice met surtout en lumière les différences de traitement entre les filles et les garçons : alors qu’il arrive en short au collège par une chaude journée d’été, Tom est invité à rentrer chez lui enfiler un pantalon ; dans la rue, il est victime de harcèlement sexiste… « En renversant les rôles, je me suis rendu compte à quel point certaines situations qu’on finit par trouver banales sont en fait scandaleuses », témoigne Florence. Une force suggestive qui vaut à Renversante d’être recommandé par l’ONU pour lutter contre les inégalités hommes-femmes dans le cadre des Objectifs de développement durable.

Pour Candice Barret, formatrice sur les questions d’égalité filles-garçons et spécialisée sur les enjeux du genre et de l’éducation, sortir des rôles genrés est en effet la première étape vers l’égalité entre les sexes. Avec La Puce à l’oreille qu’elle a fondé à Lyon en 2021, elle forme et accompagne des professionnel·les de l’éducation dans la promotion d’une culture non sexiste et moins stéréotypée pour arriver à des rapports filles-garçons apaisés et prévenir les violences sexistes et sexuelles.

Elle intervient aussi auprès des familles pour les aider à débusquer les stéréotypes de genre. « Ils passent souvent inaperçus car ils sont banalisés, explique la jeune femme. Les identifier demande de prendre conscience de biais sexistes intériorisés. » Passionnée de littérature jeunesse, elle y a souvent recours lors de ses ateliers de sensibilisation.

Renversante de Florence Hinckel, un livre qui lutte contre les stéréotypes de genre
Renversante de Florence Hinckel, illustré par Clothilde Delacroix © Editions L’école des loisirs

Princesses et chevaliers : une distribution des rôles

Elle utilise notamment les livres des éditions Talents hauts, spécialisées dans le décryptage des stéréotypes, pour contre-balancer les clichés encore nombreux dans les récits pour enfants. « J’ai travaillé dans des CDI à Lyon : c’est hallucinant ce qu’on trouve comme représentations genrées qui inculquent une vision étriquée des hommes et des femmes », rapporte-t-elle. Une vision qui imprègne aussi les livres pour tout-petits. « Souvent, la maman y est très présente dans un rôle maternel et de charge domestique, tandis que le papa est peu présent ou associé au monde du travail, rapporte Candice. Ça pose question sur les modèles parentaux qu’on montre aux enfants, sachant que les parents sont les modèles à suivre. »

Directeur des éditions Balivernes spécialisées jeunesse à Francheville, Pierre Crooks confirme : « Encore aujourd’hui, dans les projets qu’on reçoit, souvent les fées sont des filles et les chevaliers des garçons. Cette distribution des rôles est tellement ancrée ! » Florence Hinckel abonde : « Dans les supermarchés,
au rayon livres pour enfants, c’est bleu et super-héros pour les garçons et rose avec des princesses pour les filles. Ces livres continuent d’exister car ça se vend énormément. Je pense que ça rassure certains parents de se dire
“c’est une vraie fille” ou “c’est un vrai garçon”…»

« Dans les livres jeunesse, il y a peu d’héroïnes : les filles sont majoritairement cantonnées à des rôles subalternes où elles sont timides et délicates« 

Candice Barret

Des modèles féminins et masculins étriqués

Une distribution des rôles qui appauvrit les modèles proposés aux enfants. « Dans les livres jeunesse, il y a peu d’héroïnes. Les filles sont majoritairement cantonnées à des rôles subalternes où elles sont timides et délicates », regrette Candice. Connu pour sa BD L’Homme le plus flippé du monde, l’auteur lyonnais Théo Grosjean s’interroge sur ces sujets depuis tout jeune. « Longtemps, la fantasy a charrié beaucoup de personnages féminins clichés, sexualisés et peu travaillés », confirme-t-il, évoquant aussi la bande dessinée « où elles étaient souvent une espèce de faire-valoir, la jolie fille de la classe convoitée… À l’époque déjà, ça me gênait parce que ça faisait faux. »

Eliott au collège de Théo Grosjean. BD jeunesse pour lutter contre les stéréotypes de genre
Extrait de Eliott au collège mettant en scène le personnage d’Aya © Théo Grosjean

Dans sa première BD jeunesse Eliott au collège (dès 10 ans), Théo Grosjean introduit des modèles féminins plus fouillés, comme le personnage d’Aya qui remet à leur place les garçons harceleurs. « Ces dernières années, on voit émerger plus de filles indépendantes occupant le premier rôle. Ça encourage les petites à avoir confiance en elles, se félicite Candice. Néanmoins, cette transgression de genre s’opère souvent dans un seul sens. C’est bien plus rare d’avoir un personnage de garçon avec des caractéristiques dites féminines, car le féminin reste dévalorisé et dévalorisant. Or, les petits garçons ont eux aussi besoin d’autres modèles, moins virilistes. »

Théo Grosjean se souvient en effet s’être souvent senti en décalage par rapport à certains modèles masculins. « Enfant déjà, j’étais très anxieux, témoigne-t-il. Je trouvais dans les BD des personnages masculins courageux ou casse-cou, comme Sangoku et Titeuf, mais rarement le penchant craintif. » Alors avec Eliott au collège, Théo propose un personnage de garçon anxieux et timide. « Un personnage réaliste auquel les collégiens pourront s’identifier et en décalage par rapport au stéréotype du petit garçon sûr de lui. »

Eliott au collège - Théo Grosjean. BD jeunesse pour lutter contre les stéréotypes de genre
Extrait de Eliott au collège © Théo Grosjean

Diversifier les modèles pour ouvrir le champ des possibles

Ce qui se joue dans le détricotage de ces archétypes, c’est « la liberté pour l’enfant de devenir qui il est, affirme Candice. La littérature jeunesse est un des premiers médias de socialisation des enfants. Si on n’a que des bouquins bourrés de clichés de genre, l’enfant risque dassocier des comportements aux femmes et aux hommes et de se construire en se calquant sur ces modèles-là sans se poser la question de savoir si c’est vraiment qui il est et ce qu’il aime. » D’où l’importance de diversifier les modèles. « Le tout n’est pas de faire la police des mœurs, tient à préciser Candice. Mais de faire ce pas de côté en s’interrogeant sur ce qu’on donne à lire à ses enfants. »

Car pas question de culpabiliser les parents ! « Une maman était paniquée après avoir pris conscience de tout ça. Elle se désespérait de ne pas pouvoir partager les Disney de son enfance avec sa fille, à cause des princesses dont le destin dépend du prince charmant, raconte Candice. Mais si vous aimez ces dessins animés, pas de problème ! Kiffez avec votre enfant, tout en lui proposant d’autres modèles. Vous pouvez aussi en discutez avec lui : “Moi j’adore cette princesse, mais toi, qu’est-ce que tu en penses ? Est-ce que, si elle avait plus confiance en elle ou avait suivi ses propres décisions, elle aurait pu s’en sortir par elle-même sans dépendre d’un homme ?” »

Blanche-Neige et les 77 nains, réécriture par les éditions Talents hauts pour lutter contre les stéréotypes de genre dans la littérature jeunesse
Blanche-Neige et les 77 nains © Raphaëlle Barbanègre

La littérature jeunesse, miroir de l’époque

En phase avec l’époque, la littérature jeunesse évolue néanmoins. « Il y a un jeu de miroir entre ce qui se joue dans la société et la littérature jeunesse », confirme Candice. Des maisons d’édition ont participé à faire évoluer les choses. Parmi elle, les éditions Talents hauts qui éditent des réécritures de contes traditionnels comme Blanche-Neige et les 77 nains (dès 3 ans). Une version dans laquelle la princesse s’enfuit pour ne plus se farcir le ménage des nains.

Aux éditions Balivernes, Pierre Crooks va plus loin : « On a aussi des histoires qui s’affranchissent du genre sans que ce soit un sujet. Pour moi, ce sont les plus modernes. On a par exemple édité Monsieur Fée (dès 3 ans), de la Lyonnaise Morgane de Cadier. Le vrai sujet de l’histoire n’est pas qu’il est une fée, mais qu’il ne connaît pas son nom et part à sa recherche… Ce qui nous intéresse quand on reçoit des manuscrits, c’est avant tout l’histoire. »

« L’enjeu dans le fait de déconstruire les codes de genre, c’est l’acceptation de soi et des autres.« 

Candice Barret

Sortir des stéréotypes de genre: gare aux nouvelles injonctions

Si elle est sensible au sujet, la maison d’édition lyonnaise Amaterra ne souhaite pas entrer dans le débat. « C’est un sujet de société très sensible qui déclenche parfois des réactions violentes », déplore Guénolée André, sa co-directrice. Elle cite en exemple le cas d’une autrice lyonnaise incendiée sur les réseaux sociaux à ce sujet : « Des propos haineux l’ont complètement bouleversée. » Consciente des pièges qui jalonnent la réflexion sur le genre, Candice avertit à son tour : « Attention à ne pas défaire une injonction pour la remplacer par une autre ! Ce n’est pas du tout le but. »

Aussi choisit-elle avec le plus grand soin les livres qu’elle présente aux enfants. « Certains qui se veulent non sexistes tombent dans ces biais. J’ai l’exemple d’un bouquin où une petite fille est exclue de son groupe de copines pour sa coupe de garçon. À la fin, elle se retrouve elle-même excluante. Or, l’enjeu dans le fait de défaire les codes de genre, c’est l’acceptation de soi et des autres. » Pour rester juste en écrivant Renversante, Florence Hinckel a fait des recherches pendant des mois . « Je ne voulais pas exagérer une situation, rapporte l’autrice. Tout est basé sur de vrais chiffres – sur l’inégalité salariale, le temps des femmes passé à faire les corvées… Ce que je raconte n’est pas idéologique, mais factuel. »

Renversante - Florence Hinckel. Livre enfant pour lutter contre les stéréotypes de genre
Illustration tirée du tome 1 de Renversante © Clothilde Delacroix

Continuer à faire rire les enfants

En inversant les rôles fille et garçon, Florence tenait aussi à rester drôle. « L’humour est une bonne façon d’amener le débat avec les enfants. Le genre peut être un sujet lourd car il vient secouer notre conception du féminin et du masculin et des récits personnels », explique Candice. Alors pour l’aborder en toute
légèreté, elle choisit des livres drôles, jamais moralisateurs, comme Princesse Kevin (dès 3 ans). L’histoire d’un petit garçon qui veut porter une robe pour le carnaval et s’aperçoit que l’habit se prête peu à l’aventure.

« À sa lecture, les enfants sont morts de rire. Certains trouvent ça bizarre, pourtant, ils choisissent souvent de lire celui-ci », note Candice. Un signe que la curiosité des enfants va bien au-delà de personnages archétypaux vus et revus. « Je pense qu’il faut être attentif à ce que les enfants choisissent dans les livres, défend Théo Grosjean. Mortelle Adèle par exemple a vraiment été choisie par les enfants. C’est une petite fille transgressive et je trouve intéressant que les enfants, filles et garçons, aient choisi d’en faire le nouveau Titeuf. Un personnage bien écrit, je pense qu’on peut s’y identifier peu importe le sexe. »

Princesse Kevin, livre jeunesse pour lutter contre les stéréotypes de genre
Princesse Kevin © Roland Garrigue

Dessiner sans stéréotypes de genre

Les stéréotypes de genre apparaissent aussi dans les illustrations, où les personnages arborent des attributs de genre pour être identifiés comme fille et garçon ou « maman » et « papa ». « C’est d’autant plus visible lorsque les personnages sont des animaux, observe Candice. Le masculin faisant office de neutre, le père est l’animal. La mère, elle, est hypergenrée avec des bijoux ou du maquillage. » Alors, comment dessiner filles et garçons sans céder aux clichés de genre ? Pour Renversante, Florence Hinckel et l’illustratrice Clothilde Delacroix se sont posé la question, « surtout dans le Tome 2 où Léa et Tom ont 15 ans. Puisque le rôle d’être joli pour plaire incombe non plus aux filles mais aux garçons, leur fait-on porter des crop tops ? Eh bien oui ! C’est intéressant d’interroger la mode qui est dictée par le genre. »


Quand la langue n’est pas neutre

Avec La Puce à l’oreille, Candice Barret a conçu l’atelier Comment lire des livres de façon plus inclusive aux enfants ? « Une des règles est de ne pas invisibiliser le féminin, décrit-elle. Je racontais une histoire à une petite fille sur la fête des voisins dans un immeuble. Elle m’a demandé : “Dans cet immeuble, il n’y a que des hommes qui habitent ?” Ça prouve l’impact du langage dans nos représentations. » Dans Renversante, Florence Hinckel a donc inversé les règles de grammaire. « Le fait que le masculin l’emporte sur le féminin est un symbole fort pour faire comprendre aux filles qu’elles passent après, plaide-t-elle. Les garçons, eux, comprennent qu’ils font partie de la grande communauté humaine car on leur dit que le masculin est neutre. Mais de fait, le neutre n’existe pas dans la langue française. Inverser les règles permet de s’en rendre vraiment compte. »


Photo d’ouverture: illustration tirée de Renversante © Florence Hinckel

Renversante de Florence Hinckel. Livre jeunesse pour lutter contre les stéréotypes de genre

Vite ! Une idée de sortie en famille

Poterie, Judo, Arts du Cirque...

A découvrir également
Plus de publications à afficher
Consent choices