En rencontrant Antonio Carmona un jour de pluie cafardeux, on se sent tout de suite réchauffé par son sourire généreux et sa voix légèrement teintée d’un accent du Sud. Et lorsque le trentenaire originaire de Nîmes plante ses yeux dans les vôtres, le petit garçon qu’il a été s’invite lui aussi dans la discussion. Car c’est vers l’âge de 8 ans qu’est né son désir d’écrire – et, c’est important de le préciser – pour les enfants. ”Ma première passion, c’est les enfants!” confirme-t-il, tout sourire.
Un petit garçon qui puise son pouvoir dans l’écriture
Marqué petit garçon par un drame intime, quelque chose de fondateur s’est alors figé en lui: “Je me suis dit que je voulais être là pour les autres enfants”. Cette vocation s’inscrit donc dans l’écriture, pour laquelle il a des facilités. A tel point qu’à l’école, la maîtresse arrête la classe un peu plus tôt chaque vendredi après-midi: “Elle disait: “Maintenant, on va écouter l’histoire d’Antonio!” A la fin, toute la classe m’applaudissait.”
Ce rituel a d’autant plus de valeur pour le jeune Antonio qu’il est alors “très harcelé”. “Je n’ai réalisé que très récemment que ce temps où je racontais une histoire était le temps où les autres enfants m’aimaient! confie-t-il. Mes histoires m’ont donné le pouvoir d’être écouté par les autres alors que ma voix ne portait pas beaucoup dans la cour de récré.”
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Trouver les mots pour raconter les maux des enfants
A la fois armure et super-pouvoir, l’écriture ne le quittera donc plus, même au conservatoire de théâtre et à l’école de clown. “Je voulais devenir clown pour faire rire les enfants, mais j’ai réalisé que j’avais besoin de raconter des histoires, qu’il me fallait plus de mots pour être heureux dans ma vie.” Alors Antonio écrit pour le théâtre et se fait publier dès l’âge de 25 ans.
Dès ses premières pièces, les sujets qu’il explore sont difficiles, voire douloureux: la séparation avec Maman a choisi la décapotable, le harcèlement avec Il a beaucoup souffert Lucifer… Pourtant, Antonio explique ne jamais écrire sur des thèmes, mais pour rendre hommage aux enfants. Parce que “tous les enfants ne grandissent pas tranquillement avec leur papa, leur maman, leur chien…”, l’auteur estime nécessaire d’aborder avec eux des sujets lourds qui, parfois, les concernent de près. Il se tient ainsi de leur côté, sans jamais leur faire la leçon.
Un premier roman jeunesse inspiré du Japon
Par-dessus tout, Antonio s’efforce de trouver des portes de résilience et d’espoir, d’insuffler de “la joie dans le drame.” Et pour cela, il a Stella. Cette gamine un peu cartoonesque apparaît dans tous ses textes, à la manière d’un diablotin qui vient faire sourire les enfants en contrepoint d’une scène triste ou violente. “C’est un personnage que j’adore!” glisse Antonio qui a donc encore fait figurer Stella au générique d’On ne dit pas sayonara*, son premier roman jeunesse paru fin 2023.
L’histoire d’Elise, jeune collégienne dont la mère japonaise est décédée et qui vit seule avec son père, emmuré dans sa peine. Elle aussi remplie d’un chagrin qu’elle n’ose exprimer, Elise trouve une forme de consolation en faisant des puzzles comme pour reconstituer les pièces manquantes de son histoire et en se liant d’amitié avec une drôle de fille, Stella. Quand un jour sa grand-mère maternelle débarque du Japon, la lumière surgit enfin….
Au départ, cela devait être une pièce de théâtre qu’Antonio allait écrire pendant cinq mois au Japon. Mais dans le vol qui le menait à Kyoto, le jeune homme a décidé de réaliser son rêve: écrire un roman. Grand fan de mangas et d’animés, Antonio apprécie tant le Japon qu’il en a appris un peu la langue. Sur place, il a alors questionné les hâfu, personnes mi-japonaises, mi-étrangères, sur le fait d’être possiblement tiraillé entre deux cultures.
Un podcast d’Antonio Carmona à écouter dans les rues de Villeurbanne
Cette approche sensible, Antonio l’a aussi mise au service de la Fête du Livre jeunesse de Villeurbanne qui l’a sollicité pour écrire une fiction radiophonique sur le thème de la ville. Ce spécialiste de la sphère intime a décidé de “parler de la ville qui est nichée en chacun de nous”. Pour cela, il a mené des ateliers d’écriture auprès d’élèves de CM2, en leur demandant de décrire leur quartier, leur boulangerie, le métro et ce qu’ils y faisaient… Puis il a invité les pensionnaires d’une maison d’autonomie à lui raconter une histoire d’amour fictive entre deux personnes âgées.
S’inspirant de ce mélange de témoignages et de fiction, il écrit une histoire qui sera enregistrée par des comédiens pour permettre de l’écouter, sous forme de capsules sonores identifiées par des QR Codes dans l’espace public, lors de la Fête du Livre. Antonio le concède, “cette histoire sera encore très triste au début”. Mais comme à chaque fois, il y fera entrer la lumière, pour encore rester du côté de la joie et des enfants.
*On ne dit pas sayonara, d’Antonio Carmona. Gallimard Jeunesse. 13,50€. A lire dès 10 ans.
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