Force et sobriété. Les 14 photos noir et blanc de Rajak Ohanian exposées dans le cadre du centenaire du génocide des Arméniens nous regardent droit dans les yeux. Impossible de se dérober, le cœur est harponné. Parti à Alep pour tenter de retrouver l’orphelinat où son père, déporté en Syrie, avait été recueilli, le photographe a immortalisé les murs et les pavés où le regard paternel s’est sans doute posé. Ces rues et paysages déserts, il a choisi de les « graver » de textes dépourvus d’espaces et de ponctuations, pour obliger le lecteur à produire un effort de déchiffrage, comme on force la mémoire afin qu’elle se souvienne. « Ce sont comme des fils barbelés dans les camps » reprend Rajak Ohanian. « Pourquoi des enfants de 8, 9 ou 10 ans se sont-ils retrouvés là ? Pourquoi leurs parents ont-ils été massacrés ? La réponse est pour nous presque insupportable. » Et si les escaliers sont présents dans plusieurs photos, c’est qu’ils racontent symboliquement beaucoup : « Pour moi, c’est la montée au supplice, mais au bout il y a la lumière. » Un témoignage d’autant plus poignant que ce quartier a été en partie démoli par les derniers combats en Syrie. Avec pudeur, l’artiste a fait de sa quête personnelle une œuvre universelle.
Blandine Dauvilaire