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École inclusive: les moyens de son ambition ?

Mis à jour le 13/06/2024
L’école inclusive est censée garantir une scolarité normale aux élèves handicapés. Or aujourd’hui, nombre d’entre eux ne bénéficient pas d’une scolarisation adaptée et continue. Belle promesse sur le papier, l’école inclusive souffre d’un système complexe où Éducation nationale et Maison départementale des personnes handicapées peinent à s’articuler. Ce qui laisse les familles en souffrance et les enseignants démunis.

En France, le code de l’éducation veille à la scolarisation de tous les enfants sans distinction. Mais c’est en 2005 que la loi Handicap consacre « le droit pour chaque enfant à une scolarisation en milieu ordinaire, au plus proche de son domicile, et un parcours scolaire continu et adapté ». Pour cela, la loi instaure l’obligation d’accessibilité de l’école et crée notamment le poste d’accompagnant d’élève en situation de handicap (AESH).

La loi de 2013, vient renforcer davantage le principe d’inclusion scolaire en réaffirmant que l’école doit s’adapter pour accueillir chaque élève. Ainsi, tout enfant porteur d’un handicap moteur, sensoriel, cognitif ou psychique doit pouvoir trouver sa place en école ordinaire et s’y épanouir parmi les autres enfants. Telle est l’ambition de l’école inclusive.

En presque 20 ans, le nombre d’enfants handicapés à l’école a plus que triplé

Depuis 2005, le nombre d’élèves handicapés en milieu ordinaire a explosé : 134000 en 2004, ils étaient près de 430000 en 2022. Mais à y regarder de plus près, la France est encore loin d’une scolarité continue et adaptée pour tous ces enfants. Une situation pointée en 2022 par la Défenseure des droits : en 2021, « 20 % des saisines du Défenseur des droits relatives aux droits de l’enfant concernaient des difficultés d’accès à l’éducation des enfants en situation de handicap ».

Lire la suite de ce dossier sur Grains de Sel:

Batailler pour une scolarité adaptée

Ces difficultés, Cédric Barbiero les connaît bien. L’été dernier, lui et sa femme ont bataillé pour obtenir une scolarisation adaptée à leur fille, Lya, porteuse de trisomie 21. L’équipe de suivi de scolarisation, réunissant enseignant, directrice, psychomotricienne et orthophoniste, préconisait une classe Ulis. Après six mois d’attente, la réponse de la Maison départementale et métropolitaine des personnes handicapées (MDMPH) tombe enfin: l’Ulis est refusée. « C’est rare pour une trisomie 21 ! », s’exclame Cédric.

À la place, la MDPH notifie une scolarisation en milieu ordinaire avec 15h d’AESH. « En maternelle, Lya avait 24h d’AESH individuelle. Là, on lui demande de franchir le cap du CP, avec moins d’heures », souligne le père éberlué. À trois mois de la rentrée scolaire, les parents de Lya ont tenté de s’expliquer avec la MDMPH, en vain. Son histoire a alors fait le tour des médias locaux.

Finalement, la famille a obtenu la notification pour une Ulis… loin de chez elle. Des places étaient pourtant libres dans une Ulis adaptée à proximité de leur domicile, d’après le père. « Les enfants porteurs de trisomie sont plus vite fatigables. C’est toute une organisation à repenser pour éviter à Lya des trajets qui l’épuisent », défend Cédric qui blâme « un système mal fichu » et « déconnecté de la réalité de la vie d’une famille avec un enfant handicapé ».

Il déplore aussi des délais anxiogènes : réglementairement, la MDPH a jusqu’à quatre mois pour instruire les dossiers. Or, ce délai est rarement tenu. « Des parents attendent encore leur notification à la rentrée », assure Cédric. Pour lui, la notification tombée en plein été, quand l’Éducation nationale est fermée, n’a pas permis d’inscrire Lya à temps. Elle a donc fait sa rentrée deux semaines après ses camarades.

La nébuleuse d’un système complexe

Ce parcours du combattant est la réalité de nombreuses familles. « Dès lors qu’on a un enfant handicapé, on nous met dans un système parallèle avec des rouages abscons et un mille-feuille administratif décourageant », s’agace Cédric.

Alors au sein de son association de sensibilisation aux handicaps DNA, il a initié un groupe de travail sur les défis de la scolarité des enfants handicapés. Plusieurs parents et deux associations se sont associés à la démarche. Ils dénoncent « un système bureaucratique complexe et parfois peu réactif » qui use les familles et une organisation fragmentée qui entrave la coordination entre la MDPH, les écoles, les services de santé et les familles.

La difficile articulation entre MDPH et Education nationale

En France, l’école inclusive repose sur deux acteurs. D’un côté, les MDPH, prescriptrices, instruisent les dossiers de demande d’aide à la scolarisation. Une équipe pluridisciplinaire évalue les besoins de l’enfant et formule une proposition. C’est ensuite à la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) de statuer.

L’Éducation nationale joue elle le rôle d’opérateur : elle met en œuvre les prescriptions des MDPH. Sauf que… dans un rapport paru en mai 2023, le sénateur Cédric Vial pointe un manque d’articulation entre ces deux acteurs qui « nuit in fine à une prise en charge cohérente des enfants. »

De cette galaxie en silo découle aussi une complexité administrative qui pèse sur les familles, soumises à des démarches lourdes dont les enjeux et la redondance génèrent stress, épuisement et sentiment d’isolement. Certains parents blâment enfin le manque de transparence des MDPH. Leur présence étant refusée en CDAPH, ils ont le sentiment que leur dossier est étudié sans tenir compte de la réalité quotidienne de l’enfant, aboutissant parfois à des notifications contraires aux préconisations des professionnels qui, sur le terrain, l’accompagnent depuis la maternelle.

Au sein de la MDMPH de Lyon, Pascal Blanchard, vice-président à la Métropole de Lyon délégué au handicap et siégeant à la CDAPH, tient à expliquer les rouages de l’institution, « souvent considérée comme le bouc émissaire, déplore-t-il. Les dossiers sont instruits par une équipe pluridisciplinaire d’évaluation, composée d’agents de la Métropole, de soignants et d’administratifs, en s’appuyant sur le Code de l’action sociale et des familles. La loi impose que des associations participent à la CDAPH et j’y tiens. »

L’élu nous assure enfin l’importance de l’avis des professionnels qui suivent l’enfant, en particulier de l’enseignant référent, formé aux troubles du handicap. « En revanche, ils n’ont pas forcément les compétences pour juger ce qui relève de la psychiatrie », plaide-t-il.

L’école inclusive se réduit-elle à des tableaux Excel ?

Dans certains cas pourtant, le rapport du Sénat « relève des failles dans l’instruction des dossiers et dans la formulation des prescriptions » de certaines MDPH, dues à « une analyse de la situation de l’enfant déconnectée de son environnement ». « Un médiateur de la MDMPH m’a dit qu’ils traitent des tableaux avec du scoring », s’indigne Cédric. Pascal Blanchard s’inscrit en faux :

« Il est hors de question de faire l’impasse sur la qualité d’instruction d’un dossier. Tous sont analysés de façon spécifique et non comme des tableaux Excel. En revanche, les quatre mois réglementaires pour traiter un dossier sont souvent dépassés », concède-t-il. À ce jour, il faudrait en moyenne six mois à la MDMPH pour instruire un dossier, « en sachant qu’on a de plus en plus de demandes », souligne l’élu. En 2022, la CDAPH de Lyon a rendu 12 471 décisions concernant la scolarisation d’enfants handicapés, soit 5 % de plus que l’année précédente.

« Il n’y a pas de places en IME, tu demandes l’Ulis; il n’y a pas de places en Ulis, tu te retrouves en milieu ordinaire avec une notification pour une AESH… Sauf qu’il n’y a pas assez d’AESH »

Cédric Barbiero

Le manque de moyens à tous les étages

Tandis que les demandes d’aides à la scolarisation augmentent, les moyens des MDPH, eux, n’ont pas été revus depuis 2005. Sur le terrain, le sénateur Cédric Vial observe bel et bien que « faute de moyens […], certaines MDPH en sont réduites à “gérer des fichiers Excel” ». Ce manque de ressources s’étend aussi à l’Éducation nationale et dans le secteur médico-social : dans les classes Ulis comme dans les IME, les places sont chères et la liste d’attente atteint deux à trois ans dans certains instituts.

Ce qui entraîne par défaut des prises en charge inadaptées: « Il n’y a pas de places en IME, tu demandes l’Ulis; il n’y a pas de places en Ulis, tu te retrouves en milieu ordinaire avec une notification pour une AESH… Sauf qu’il n’y a pas assez d’AESH », résume sarcastique Cédric Barbiero.

À Vaulx-en-Velin, Jacques* a fait les frais de cette pénurie dans l’école maternelle de son fils. Pendant trois mois, « un enfant sur trois n’a pas eu l’AESH auquel il avait droit, rapporte-t-il. La directrice s’arrangeait comme elle pouvait en affectant les AESH à ceux qui en avaient le plus besoin. »

Son fils autiste en a ainsi bénéficié, avant que la directrice doive « se résoudre à déshabiller Pierre pour habiller Paul » et qu’il perde ses heures. Las d’attendre une réponse de l’Académie de Lyon, Jacques s’est alors tourné vers les médias. Lorsqu’il échange enfin avec le rectorat, on lui confie que « tout ce que je pourrais obtenir pour mon enfant, ce serait au détriment de quelqu’un d’autre. »

AESH, cheville ouvrière précaire de l’école inclusive

De fait, l’augmentation des demandes associée au manque de places dans les IME et Ulis aboutissent à une hausse des besoins en AESH: en 2023, 288 100 notifications ont été délivrées pour 125 000 accompagnants. Ariane De Lattre est AESH dans une école à Villefranche-sur-Saône, où elle s’occupe de trois enfants en CP. « On est quatre AESH à temps complet, mais la directrice se tord les boyaux pour répartir les heures notifiées par la MDPH, témoigne-t-elle. On est tous de bonne volonté. Mais on est bien obligé de se dire qu’on n’y arrive pas, on n’est pas assez. »

L’AESH accompagne les enfants handicapés dans les actes de la vie quotidienne et dans les activités d’apprentissage. Il peut être mutualisé auprès de plusieurs élèves, ou individualisé pour un élève requérant une attention soutenue et continue.

Petits salaires et formation insuffisante des AESH

Fondamental, le métier souffre pourtant d’un manque d’attractivité, avec des contrats précaires et un salaire moyen entre 750 et 850 euros par mois. Prenant en charge tout type de handicap en sous-effectif, les AESH exercent dans des conditions de travail pénibles. « L’autre jour, un enfant a fait une crise, il voulait taper tout le monde, raconte Ariane. Il a fallu le contenir physiquement, j’en ai eu des courbatures. »

« On est un peu les gardes-fou: on est là pour que le système ne parte pas complètement en cacahuète. »

Ariane De Lattre, AESH

Des situations d’autant plus compliquées que les AESH ne sont pas ou peu formés. En poste depuis trois ans, Ariane a reçu seulement l’année dernière la formation de 60 heures obligatoire depuis 2018. « Je l’ai trouvée peu concrète, éloignée du terrain, commente-t-elle. On nous parlait du monde parfait où chaque enfant a son AESH et son quota d’heures, alors que la réalité est tout autre. »

Une formation par ailleurs insuffisante pour comprendre une grande diversité de handicaps, allant de l’autisme au multidys. Pourtant, l’accueil des enfants porteurs de handicap à l’école repose à ce jour majoritairement sur ces accompagnants: « On est un peu les gardes-fou, résume Ariane. On est là pour que le système ne parte pas complètement en cacahuète. »

Les moyens limités de l’Éducation nationale

Et pour cause: censée mettre en œuvre les conditions de l’école inclusive, l’Éducation nationale « se heurte aux moyens limités dont elle dispose pour appliquer les prescriptions d’aide humaine », constate le rapport du Sénat. Conséquence : les prescriptions ne sont souvent pas respectées. Aboutissant parfois à la déscolarisation des enfants. Selon une étude menée en septembre 2023 par l’UNAPEI auprès des 330 associations de son réseau, sur 2103 enfants accompagnés, 28 % sont scolarisés 0 à 6 heures par semaine et 23 % n’ont aucune heure.

Sur le terrain en effet, des familles se heurtent au refus de certains enseignants d’accueillir l’enfant sans son AESH. Erika Esparel-Lampilas en a fait l’expérience avec sa fille Romy, 6 ans. Autiste, elle a été orientée en milieu ordinaire avec 18h d’AESH individuelle. Cette dernière n’ayant pas été recrutée à temps, 1h30 est prise sur le temps d’AESH d’un autre élève. Le reste du temps, la directrice refuse d’accueillir l’enfant, « à cause de son incontinence », rapporte la mère.

Pendant trois mois, Romy quitte donc l’école juste avant la récréation. « Elle ne comprenait pas pourquoi elle n’avait pas le droit de rester et de jouer avec les autres enfants », se désole Erika. Il est pourtant illégal de ne pas accueillir un enfant à l’école, celle-ci étant un droit et obligatoire de 3 à 16 ans.

Transformer l’école pour accueillir et accepter le handicap

Face à ces dérives, le rapport du Sénat appelle l’Éducation nationale « à assumer son rôle en matière d’accessibilité » sans se reposer exclusivement sur les AESH. Constatant un « déficit de culture pédagogique sur l’inclusion scolaire », il recommande de renforcer la formation des personnels de l’Éducation nationale à la prise en charge des élèves handicapés. Une sensibilisation nécessaire pour certaines familles qui font parfois face au manque de bienveillance et aux discriminations.

« On nous a dit que Romy n’avait rien à faire à l’école avec son handicap, qu’ils n’étaient pas là pour faire garderie »

Erika Esparel-Lampilas

Comme Erika, qui raconte « un traumatisme profond » vécu dans l’école de Romy après une violente altercation avec la directrice. « Elle nous a dit que Romy n’avait rien à faire à l’école avec son handicap, qu’ils n’étaient pas là pour faire garderie et m’a ordonné de sortir, avec ma fille. » S’ensuit alors un procès, doublé d’une enquête sociale, où l’autisme de Romy est remis en question par l’école, obligeant la famille à faire appel à une avocate spécialisée en droit du handicap. Finalement, le juge leur avouera que le dossier ne tient pas la route. Et l’avocate, que Romy n’est pas un cas isolé : « des dossiers comme ça, elle en a des dizaines sur son bureau

Des enseignants démunis

De nombreux enseignants s’efforcent cependant d’accueillir au mieux les élèves handicapés. Mais sans formation, sans AESH et face parfois à des enfants qui attendent une place en Ulis ou en IME, beaucoup se sentent complètement démunis. C’est le cas de Nathalie*, enseignante en élémentaire à Lyon, qui accueille dans sa classe un enfant porteur d’autisme lourd.

Venu de l’étranger, il n’a pas encore reçu sa notification MDPH. En attendant, il va à l’école ordinaire, sans AESH. « Il est non verbal avec beaucoup de difficultés, il relèvera certainement d’un IME ou d’une Ulis quand la notification va tomber », témoigne Nathalie. Qui raconte son quotidien avec cet enfant qui a atterri par défaut dans sa classe:

« Quand il a des débordements émotionnels, je le calme comme je peux. En classe, j’utilise des pictos pour qu’il essaie de répéter des mots. Mais je n’ai pas du tout la compétence ni le temps ! Je suis obligée de le laisser seul la plupart du temps… C’est dur pour moi, j’ai l’impression de ne pas pouvoir l’aider, raconte, visiblement émue, celle qui s’est attachée à l’enfant. Pour les autres élèves aussi c’est dur; ils voient des choses difficiles et je perds du temps de classe à m’occuper de lui. »

Malgré des collègues solidaires et investis, Nathalie ne se sent pas accompagnée. « Je n’ai pas le sentiment d’être soutenue par l’Éducation nationale. Personne ne vient vérifier si tout se passe bien, si je fais les choses comme il faut », se désespère-t-elle.

École inclusive: le bateau coule, les familles avec

Pensée dans un idéal d’acceptation des différences, l’ensemble dysfonctionnel de l’école inclusive exacerbe aujourd’hui les tensions entre les institutions, les familles et des enseignants qui remettent parfois en cause l’inclusion systématique en milieu ordinaire des enfants handicapés. « Aujourd’hui comme elle est faite, l’école inclusive n’est bien pour personne. Ni pour les élèves handicapés, ni pour les enfants ordinaires, ni pour les enseignants, juge Ariane. L’école inclusive, on en est très loin. »

Pourtant, « l’urgence est quotidienne: il s’agit de nos enfants qui n’ont pas accès à leurs droits, insiste Jacques. Face à l’inertie du système, il ne faut pas hésiter à retourner ciel et terre car on joue la montre. Mais j’aimerai bien connaître le nombre de parents qui renoncent car ça paraît insurmontable. » Une émotion partagée par Erika : « Il y a la loi, et il y a la vraie vie. Et dans les faits, c’est un peu le Far West pour les enfants handicapés. Notre vie est un perpétuel combat contre des moulins à vent. Or, le développement de nos enfants, c’est maintenant que ça se joue, pour qu’ils aient le plus d’autonomie possible plus tard. »

*Le prénom a été modifié à la demande de l’intéressé·e.

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Lya Barbiero © Susie Waroude

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