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Éducation aux médias et à l'information à l'école
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Éducation aux médias et à l’information: un enjeu citoyen à l’école

Mis à jour le 11/06/2024
Chaque année en mars se tient la Semaine de la presse et des médias à l’École. L’occasion de se pencher sur les enjeux de l’éducation aux médias et à l’information (ÉMI). Dans la métropole lyonnaise, professeurs et journalistes s’engagent pour dévoiler aux élèves les coulisses du métier et les arcanes de l’info. Un enseignement qui grandit alors que se propagent la défiance à l’égard des journalistes et les fake news dans un environnement numérique de plus en plus complexe.

Yeux ronds et sourires timides : en voyant arriver trois journalistes dans leur classe ce vendredi de février, les enfants sont impressionnés. Ils n’attendaient ce matin qu’une seule journaliste, familière de cette classe de CE2 : Audrey Radondy. Voilà quelques mois que l’intervenante, membre du Club de la presse de Lyon, mène à l’école Jules-Guesde et dans d’autres écoles de Villeurbanne des ateliers radio dans le cadre d’un projet initié par la Ville.

L’enjeu : offrir aux enfants une éducation aux médias et à l’information (ÉMI). Avec les CE2 de Jules-Guesde, cela passe par la création d’une émission scientifique. Et ce matin, c’est la séance d’enregistrement : les élèves vont interviewer Matthieu Ville, animateur à Planète Science. Retenue par une grève SNCF, Audrey s’est fait remplacer par un confrère : Gérald Bouchon, journaliste radio.

En guise d’introduction, l’homme raconte son métier, le média pour lequel il travaille, Lyon demain – « Ah mais j’connais !», s’exclame un élève. Un autre lève le doigt : « Vous avez déjà écrit dans des magazines? Avant journaliste, vous étiez quoi ? Vous avez déjà interviewé des enfants ? » Gérald Bouchon répond, l’enfant écoute, les yeux grands ouverts dans lesquels pointe déjà une nouvelle question… Mais c’est l’heure de l’interview !

Les enfants ont préparé leurs questions pour Matthieu Ville ; ils la posent tour à tour au micro de Gérald qui leur donne le top départ pour parler, « comme dans un studio radio » : « Vous avez déjà rencontré Thomas Pesquet ? Est-ce qu’on peut vivre sur d’autres planètes ? »… De sa plus belle voix, l’animateur raconte l’univers, la station spatiale internationale, la gravité… Captivés, les enfants ont encore plein de questions, mais timing oblige, il faut boucler l’émission. Gérald Bouchon les félicite : « Ce matin, vous avez été journalistes; vous avez posé des questions à un spécialiste. »

éducation aux médias et à l'information
Les élèves attendent leur tour pour poser leur question © Pierre Ferrandis

L’éducation aux médias et à l’information à l’école

Depuis la déclaration de Grünwald de l’Unesco en 1982, « les systèmes politiques et éducatifs ont l’obligation de promouvoir auprès de leurs citoyens une compréhension critique des phénomènes de communication que sont les médias » et ainsi de développer une ÉMI dès l’école.

En France, c’est le Clémi (Centre pour l’éducation aux médias et à l’information), fondé en 1983, qui coordonne l’ÉMI dans le système éducatif. Ses missions : former les enseignants, produire des outils pédagogiques à leur usage et coordonner les projets dans les écoles afin d’apprendre aux élèves « une pratique citoyenne des médias pour se forger un esprit critique ».

Contrairement à la Suisse, l’ÉMI, en France, n’est pas une matière à part entière car « elle est rattachée à l’éducation à la citoyenneté, qui est l’affaire de tous, explique Iris Iriu, référente Clémi de l’Académie de Lyon. Si on la flèche vers une matière, elle est limitée à l’action d’un professeur et non plus étendue à un projet citoyen qui permet de travailler en équipe ». L’ÉMI est donc saupoudrée dans les programmes, dès la maternelle.

Pour apporter aux enfants une connaissance des médias et mettre en valeur la liberté de la presse et la légitimité du journaliste, « le Clémi s’est construit sur la pédagogie Freinet, retrace Iris Iriu. L’instituteur promouvait les journaux dans les classes pour que les élèves expérimentent leur liberté d’expression dès le plus jeune âge. » C’est ainsi qu’aujourd’hui, le Clémi aide à la création de médias scolaires, en partenariat avec les enseignants et les associations de journalistes. Et Iris Iriu l’affirme : « À Lyon, on a un énorme investissement des enseignants ! »

Pratiquer un média scolaire pour comprendre l’info

Ludique et concrète, la pratique d’un média est idéale pour initier le jeune public à l’info. Pour les plus petits, « on peut mettre en place un bulletin de classe où les élèves rendent compte d’une sortie, propose Iris Iriu. Ça permet de travailler des compétences d’écrit, mais aussi d’honnêteté journalistique – rapporter ce qu’on a vu sans affabuler – et de déontologie : qu’est-ce qu’on peut dire ? Est-ce que je peux dire que tel camarade a mangé ses crottes de nez ? Quel impact cela aura sur lui ? Ce sont des questions qu’ils se poseront plus tard quand ils publieront sur les réseaux sociaux. »

À l’école Jules-Guesde, Audrey Radondy ne partage pas seulement sa passion de la radio avec les CE2 : elle sème les graines d’une utilisation consciente de l’info. « L’esprit de cet atelier est de leur faire découvrir et pratiquer la radio, témoigne-t-elle. Ce faisant, on les sensibilise sur le fait qu’on ne peut pas dire n’importe quoi ni croire quelqu’un sur parole, qu’une rumeur n’est pas une information. Ce n’est pas parce qu’un camarade me dit qu’il y a grève lundi que c’est vrai. Il faut vérifier l’info en multipliant les sources. »

Les enfants à La Fabrique de l’info

Pratiquer un média, c’est enfin comprendre comment est fabriquée l’information. Tel est le credo de La Fabrique de l’info, un cycle consacré à l’éducation aux médias et à l’information nourri d’ateliers, de conférences et de rencontres proposé gratuitement par la bibliothèque municipale (BM) de Lyon. «L’idée est de questionner la fabrication de l’info en mettant les enfants en situation de production d’une information», présente Anne-Cécile Hyvernat, fondatrice et coordinatrice du cycle au sein des BM de Lyon.

D’abord à destination du grand public, La Fabrique s’est ouvert en 2018 aux scolaires, de la primaire au collège. La bibliothèque accueille ainsi les élèves lors d’ateliers pratiques comme « Fabrique ton post Insta / ta vidéo TikTok » pour montrer comment créer et manier une info en partant des pratiques des enfants.

Le cycle leur permet enfin de rencontrer des journalistes, qu’ils soient issus d’associations internationales comme We Report ou de médias locaux comme Rue89Lyon. Des échanges essentiels pour plonger dans la réalité du métier, pas toujours bien comprise par les enfants. « Souvent, les intervenants leur demandent la différence entre Hanouna et un journaliste du 20h, rapporte Anne-Cécile. Ils ne font pas d’emblée la distinction entre un influenceur et un journaliste, entre une opinion et une information… »

Montrer les coulisses du métier…

C’est pour endiguer cette confusion que le Club de la presse de Lyon s’est engagé en 2022 dans un vaste programme d’ÉMI. « Après le Covid, on s’est demandé ce qui nous réunissait dans notre conviction, à quoi servait un club de presse, retrace Raphaël Ruffier-Fossoul, vice-président de l’association. Il nous est apparu que l’éducation aux médias et à l’information était le fond de notre action. » En 2022, le Club de la presse de Lyon crée alors les Assises de l’ÉMI; en 2023, il forme ses premiers membres pour intervenir au sein des écoles, collèges et lycées.

Là encore, les ateliers sont ludiques et concrets, comme ce jeu de rôle où Raphaël Ruffier-Fossoul plonge des collégiens dans une enquête sur l’origine des produits d’un marché de Noël. « Certains jouent les commerçants, les autres jouent les journalistes et apprennent à poser les bonnes questions pour obtenir des réponses, décrit-il. Ça marche bien : ils comprennent assez vite la différence entre communication et journalisme. » Un jeu qui sert en creux à faire comprendre « l’intérêt du métier de journaliste » aux élèves.

Car montrer les coulisses de la profession, c’est aussi l’occasion de réaffirmer le rôle du journaliste et la liberté de la presse, souvent questionnés. « Ce besoin d’ÉMI a émergé aussi quand on a réfléchi à cette confiance perdue entre les médias et les lecteurs, confie Raphaël Ruffier-Fossoul. On a beaucoup dit après les Gilets jaunes que les journalistes ne représentaient pas la population. Alors c’est important que dans tous les quartiers, on aille explique le métier. »

Éducation aux médias et à l'information
Audrey Radondy en plein atelier radio avec les CE2 © Lydie Sanz

… pour rebâtir la confiance envers les journalistes

Quand Audrey Radondy commence à initier les enfants à la radio en 2015, l’éducation aux médias et à l’information en est encore à ses prémices. « Avec les attentats de Charlie Hebdo, ça a pris une autre ampleur, se rappelle-t-elle. On a reçu beaucoup de demandes d’intervention dans les établissements scolaires. Il y a eu comme une prise de conscience qu’il faut davantage expliquer aux élèves le fonctionnement des médias et le métier de journaliste, qui est de vérifier l’info et rapporter différents points de vue pour se forger une opinion éclairée.»

C’est à cette époque que Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre de l’Éducation nationale, réaffirme par décret la nécessité de l’ÉMI à l’école. À ce moment-là aussi que la BM de Lyon étend La Fabrique de l’info à la jeunesse, avant de l’ouvrir aux scolaires en 2018, à « l’époque de Trump et des réalités alternatives ».

Car parfois, la défiance envers les journalistes sort de la bouche des enfants. « Lors d’une rencontre début février à Rillieux, j’ai demandé à des CM2 s’ils pensaient que les journalistes disaient la vérité : ils ont répondu “non”, rapporte Raphaël Ruffier-Fossoul. Et quand on leur demande “Est-ce que Google vous dit la vérité ?” ils répondent: “Oui, pourquoi il nous mentirait ?” »

La soif de curiosité des enfants

Alors les journalistes expliquent: la différence entre une opinion et une information, la déontologie « qu’ils doivent à leurs lecteurs, insiste Audrey Radondy. J’ai envie de leur montrer que la majorité des journalistes font leur métier correctement pour informer au mieux et qu’ils sont utiles. » Heureusement, la curiosité des enfants est un terreau fertile:

« Autant il y a une forte défiance des adultes envers les journalistes, autant on constate aussi une forte attente de les rencontrer, chez les grands comme chez les enfants, rapporte Anne-Cécile Hyvernat. Ils leur posent plein de questions : “Combien tu gagnes ? Est-ce que t’as déjà interviewé Mbappé ?”»

Raphaël Ruffier-Fossoul abonde : « Ils comprennent vite quand on leur explique qui on est. Ils sont très en demande de connaître le métier et posent plein de question sur notre manière de travailler. Ces rencontres sont aussi l’occasion de nous remettre en question, poursuit le journaliste. L’info circule aujourd’hui sur des réseaux sociaux où on est peu présents. Beaucoup de jeunes ne connaissent pas les médias traditionnels et s’informent sur ces médias sociaux, dont l’intérêt est de garder les utilisateurs à l’intérieur des plateformes. »

Un monde numérique complexe propice aux fake news…

Cet environnement numérique révolutionne en effet la production et la circulation de l’information. À Lyon, l’association Fréquence écoles, qui accompagne les jeunes à « s’épanouir dans les mondes numériques », développe depuis 30 ans une éducation aux médias numériques.

« L’ÉMI est fondamentale, mais ce n’est qu’une partie de l’éducation au numérique, affirme Christophe Doré, responsable des interventions au sein de l’association. Les enfants confondent info et actu. Pour eux, l’info, c’est le journal de 20h qu’ils ne regardent pas. Donc ils pensent qu’ils ne s’informent pas. Or, surfer sur Internet, c’est déjà être face à un tas d’informations. »

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Alors l’association intervient auprès des cycles 3 (CM1-6e) pour leur expliquer ce qu’est Internet, ce qu’est un algorithme, son rôle dans un média social… Et la différence entre médias traditionnels et médias sociaux, ces plateformes en ligne (blogs, réseaux sociaux, etc.) où chacun devient émetteur d’une information.

Sans journaliste pour vérifier la véracité des faits et la fiabilité d’une source, désinformation et mésinformation ont alors champ libre sur les réseaux sociaux. A fortiori à l’ère de la bataille de l’information: « Les réseaux sociaux sont de plus en plus instrumentalisés pour diffuser de fausses informations, avec des intérêts bien compris derrière », soupire Raphaël Ruffier-Fossoul.

… Et aux deepfakes

À cela s’ajoute l’essor des intelligences artificielles (IA) qui va de pair avec celui des deepfakes (hypertrucages). Au point que le 6 février 2024, Meta, maison mère de Facebook et Instagram, a annoncé qu’elle allait identifier les images générées par l’IA sur ses réseaux sociaux afin de lutter contre la désinformation.

« Aujourd’hui, avec les deepfakes, même les images peuvent mentir. C’est ce que les élèves ont le plus de mal à comprendre, rapporte Chloé Bertaina, professeure documentaliste et professeure d’ÉMI au collège Jules-Michelet à Vénissieux. Il faut cultiver l’esprit critique face à ce flot d’informations pour qu’ils comprennent que tout ce qu’ils voient sur Internet n’est pas toujours vrai. Je le vois bien chez mes 6e : ils ont une seule source d’information: Télégramme, Youtube ou TikTok…»

Alors la professeure décrypte avec eux les images : « Je leur dis que si eux savent faire une vidéo TikTok, n’importe qui peut fabriquer un montage sur Internet. » Et les invite à réfléchir au fonctionnement d’une fake news : « On se demande pourquoi les fausses infos se propagent mieux sur Internet que les vraies, décrit-t-elle. Ils se rendent compte que la fausse info est sensationnelleAlors que la vraie est rarement spectaculaire : elle demande de la nuance, du temps de réflexion…»

Davantage d’éducation aux médias et à l’information…

Dans son collège, Chloé Bertaina est aussi l’instigatrice d’un projet d’innovation pédagogique suivi par le Clémi. L’idée: que tous les élèves de 6e aient au moins une heure d’ÉMI par semaine fixée dans leur emploi du temps. Une expérience menée dans le cadre du dispositif Cités éducatives du quartier Minguettes-Clochettes et qui a permis de monter cette année une web radio avec l’association lyonnaise de journalistes Tout va bien.

Parmi les projets qui fédèrent de nombreux enseignants du collège, un podcast sur les métiers des médias dans lequel des élèves de CM2 et de 6e interviewent des journalistes de la presse écrite, de la radio, des monteurs vidéo… « On est aux Minguettes en REP+, donc l’ÉMI est très importante. Outre leur faire découvrir une diversité de métiers, l’enjeu c’est de les mettre au plus vite à la production de l’information pour qu’ils comprennent comment on peut facilement la manipuler », défend celle qui plaide pour davantage d’ÉMI à l’école.

« C’est un sujet qui n’est pas assez embrassé par la profession. C’est l’affaire de tout le monde, donc ce n’est l’affaire de personne, résume-t-elle. L’ÉMI est censée être abordée dans toutes les disciplines, mais sur le terrain, c’est plus compliqué. Les collègues n’ont pas forcément le temps, ne sont pas toujours formés… Pourtant, les enjeux sont immenses. L’éducation aux médias et à l’information regroupe tellement de champs qu’elle mériterait un programme. »

…et de dialogue parents-enfants !

Mais les journalistes appellent aussi à dédramatiser. « Au lieu de dire que les jeunes sont sur leur portable à voir des fake news, demandons-leur leur avis en partant de leur pratique, enjoint Audrey Radondy. Et montrons-leur les choses intéressantes qui existent aussi sur les réseaux, comme ce nouveau rendez-vous de France TV C’est quoi l’info ?* »

Une vision à laquelle adhère Anne-Cécile Hyvernat : « Les adultes pensent que les jeunes ne s’informent pas. En réalité, ils sont très informés : ils ont des comptes Insta de plus en plus tôt ou sont sur celui du grand frère. Il faut favoriser le dialogue intergénérationnel pour aller voir ce qu’ils reçoivent comme info et ce qu’ils en comprennent. »

Ainsi la BM propose-t-elle des ateliers pour les adultes, « car les pratiques informationnelles des enfants viennent souvent de celles des parents », observe Anne-Cécile Hyvernat. « La défiance et la désinformation sont assez faibles chez les moins de 12 ans, rassure Raphaël Ruffier-Fossoul. Elle vient surtout des adultes : les enfants n’inventent pas que “les journalistes mentent”. C’est pour ça qu’on essaie de faire aussi des ateliers parents-enfant. »

À l’instar du collège Jules-Michelet, qui essaie d’impliquer les parents dans ses projets ÉMI « pour qu’ils s’initient à la fabrique de l’info, mais aussi parce que ce que voient les enfants sur Internet n’est pas toujours discuté en famille », rapporte Chloé Bertaina.

Un nécessaire dialogue intergénérationnel, mais aussi citoyen. « C’est pour ça que j’ai toujours accepté d’aller dans les classes, confie Raphaël Ruffier-Fossoul. Pour expliquer ce qu’est la liberté d’expression, comment une information libre permet la démocratie… . Et répéter sans cesse aux enfants que c’est une profession ouverte dans laquelle ils peuvent être les journalistes de demain. »

Éducation aux médias et à l'information à l'école
© Susie Waroude

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