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dans la métropole de Lyon
deux élèves l'enseignant Tommy Zielinsky de l'école Sainte-Emilie de Rodat en Isère
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Et si on faisait l’école dehors ?

Mis à jour le 29/04/2024
Septembre a sonné la rentrée des classes ! Alors que dans les Monts du Lyonnais ouvre une école en forêt, dans la métropole de Lyon plus de 200 enseignants ont été formés à faire classe en plein air. Plébiscitée dans les pays du Nord, l'école dehors commence à essaimer en France. Loin de la lubie écolo-bobo, cette pédagogie dans et par la nature repose sur de nombreuses études démontrant ses bénéfices tant sur la santé que sur l’apprentissage des enfants.

« Aujourd’hui, on vit coupés de la nature : on habite dans des boîtes et les enfants sont enfermés toute la journée dans une autre boîte qui s’appelle une école. » L’image est forte, mais c’est à dessein que l’emploie la Docteure en psychologie cognitive Nina Kleinsz, cofondatrice de l’association Les Voies de la forêt à Saint-Martin-en-Haut. C’est qu’en Allemagne où Nina est née, l’école dehors est chose courante.

On y trouve même des forest schools, des écoles en forêt où les élèves apprennent au milieu des arbres. Nées au Danemark dans les années 50, ces écoles sont aujourd’hui plus de 3 000 en Europe, dont la majorité répartie dans les pays scandinaves et en Allemagne, mais aussi en Écosse, au Royaume-Uni… En France en revanche, l’idée d’une école dans la nature peine à germer.*

L’école les Voies de la forêt © Louise Reymond

Les limites de l’école entre quatre murs

Dans l’Hexagone, les tables de multiplication et règles de grammaire s’apprennent à l’intérieur, assis à son bureau toute la journée. Les élèves ne sortent que pour les récréations, 30 minutes dans des cours bétonnées (15 minutes en Élémentaire !), et les programmes ne laissent que peu de place à des activités en plein air.

Faire classe dehors est alors un phénomène minoritaire qui tient à l’initiative de quelques professeurs déterminés, comme Loetitia Raguin et Virgine Sigaud, enseignantes à l’école Lumière (Lyon 8e). Chaque année, les deux maîtresses imaginent un projet stimulant pour leurs élèves de CE2. L’an dernier, le projet pédagogique s’articulait autour d’un potager.

« On met en place des choses pour que les enfants arrivent à l’école contents, sans la boule au ventre, témoigne Loetitia. Il n’y a rien de pire que d’avoir des élèves qui pleurent ou qui s’écharpent. » Virginie poursuit : « On est persuadées que le bien-être de nos élèves leur permet d’apprendre dans de bonnes conditions. Les voir au jardin, ça a été une révélation. »

Pas étonnant pour Nina : « Les enfants ont besoin de bouger, d’aller dehors pour explorer, expérimenter. » La Convention internationale des Droits de l’Enfant reconnaît en effet depuis 1989 l’importance de laisser à l’enfant du temps pour des activités ludiques, « essentielles à [leur] santé et bien-être, et favorisant la créativité, la confiance en soi […] ainsi que les compétences physiques, sociales, cognitives et émotionnelles. »

Manque de nature: des conséquences sur le bien-être et l’apprentissage

Alors, pour faire leur potager, Loetitia et Virginie ont obtenu l’accès à un espace vert à 200 mètres de l’école. Puis, à coups de bêche sur leur temps libre, aidées par des parents d’élèves, elles ont donné forme à quatre carrés de jardin. Là, deux après-midi par semaine, elles ont emmené les enfants planter des graines, arroser, défricher, observer la pousse des plantes et la vie des insectes.

« Quand on discute de la nature avec nos élèves, on se rend compte qu’ils ne connaissent pas le nom des légumes, des oiseaux, rapportent-elles. Pour eux, jouer avec la terre, c’est sale. Il y a une méconnaissance de la nature, car ils passent toujours d’espace clos en espace clos sans aucun contact avec elle. »

Une carence de nature de plus en plus reconnue : « Aujourd’hui, on parle même du syndrome de manque de nature », confirme Nina. Décrit en 2005 par le journaliste et écrivain américain Richard Louv, ce syndrome désigne un ensemble de troubles physiques et psychiques liés à un mode de vie trop sédentaire.

Conséquences : en 2018, l’Éducation nationale observe une hausse importante depuis 2010 du nombre d’élèves souffrant de troubles de l’apprentissage (+ 24 %), de troubles du psychisme (+ 54 %) et du langage (+95 %). Enfin, selon une consultation nationale de l’Unicef en 2014, un tiers des enfants et des adolescents se disent en souffrance psychologique. Un mal-être dû entre autres au harcèlement scolaire et aux problèmes d’adaptation au système scolaire.

L’école Les Voies de la forêt © Louise Reymond

Le risque zéro avant tout

Ce manque de nature, l’école y participe par un cadre rigide qui peine à se réinventer et élève au-dessus de tout le principe du risque zéro pour les enfants*. Une responsabilité qui pèse sur les enseignants et les décourage à sortir avec les élèves : « On s’est enlisés dans des demandes d’autorisation qui sont des garde-fous et qui font qu’on a petit à petit enfermé les enfants dans des locaux », regrette Virginie Sigaud. Ainsi, depuis 1995, la fréquence et la durée des classes vertes ont diminué.

Cette peur du risque est aussi à l’origine de la désertification des cours de récréation, où les arbres et les balançoires se font rares pour éviter les bobos. « On est arrivé dans un système où la sécurisation des enfants est devenue l’enjeu numéro un, peut-être aux dépens de leur épanouissement et des apprentissages de la vie, note Stéphanie Léger, adjointe chargée de l’éducation à la Ville de Lyon. Mais un enfant enfermé pendant six heures, est-ce vraiment les meilleures conditions d’apprentissage ? Et pourquoi il n’aurait pas le droit d’apprendre dehors ? »

À Lyon, des enseignants formés à faire école dehors

En 2020, le Covid montre en effet les limites de l’école enfermée. Au sein de l’Académie de Lyon, la conseillère pédagogique départementale Yvette Lathuilière initie alors un plan de formation sur l’école dehors, co-organisé par l’Éducation nationale et la Métropole de Lyon. Ouverte à 30 enseignants, la formation récolte 302 inscrits à l’échelle de la métropole ; 219 enseignants ont finalement été formés l’année dernière, dont 40 à Lyon, issus d’écoles élémentaires et maternelles publiques.

L’enjeu : comprendre les bénéfices d’un cadre naturel sur l’apprentissage et savoir évaluer les risques potentiels d’un lieu. Une formation reconduite cette année en janvier, forte de son succès. Financée par la Métropole de Lyon, elle est dispensée par des associations environnementales.

La Ville s’inscrit elle aussi dans ce projet en facilitant l’accès des classes aux lieux de nature. Pour cela, elle travaille avec les espaces verts à cartographier les endroits les plus adaptés pour la classe dehors. D’autres aspects sont encore en réflexion, comme la question du matériel.

« D’où l’intérêt de créer un réseau qui mette en lien les enseignants pour qu’ils échangent les bonnes pratiques et nous fassent remonter les besoins », explique Stéphanie Léger. La Métropole ambitionne ainsi de devenir un important réseau de l’école publique en plein air.

À la Duchère, des chercheurs étudient les bénéfices de l’école dehors

Pour Yvette Lathuilière, il y a bien « une prise de conscience des besoins de l’enfant et du bien-être des élèves. M. Blanquer reconnaissait à la rentrée 2021 qu’“il y a une vertu pédagogique à faire classe en plein air.” » Elle-même s’y est intéressée dès 2019 en inscrivant deux écoles de La Duchère dans une recherche-action initiée par le Réseau école nature (REN) pour alimenter les études sur le sujet.

De septembre 2019 à mars 2020, accompagnés par des chercheurs du laboratoire d’études des mécanismes cognitifs de l’Université Lyon 2, des enseignants ont emmené leurs élèves de CE1 faire classe au parc du Vallon une après-midi par mois. Suspendue par le Covid, l’étude doit reprendre bientôt, mais « des bénéfices ont déjà été mesurés sur l’attention des enfants et sur le climat scolaire », rapporte la conseillère.

Un terrain riche en apprentissages

Tommy Zielinsky, lui, n’a pas attendu le Covid pour emmener ses CP dans la nature : tous les lundis matin, cet enseignant à l’école Joaness Lacroix en Isère enseigne dehors. « En sciences, les états de l’eau, on peut les observer dans la nature, les toucher. On dit que c’est incorporé ; vécu par le corps. Voilà pourquoi on retient souvent mieux quand on apprend dans la nature. »

Cette réceptivité, Loetitia Raguin et Virginie Sigaud l’ont elles aussi observée chez leurs élèves : « Au potager, iIs se sentent bien plus concernés par les activités. » Peu à peu, elles ont donc délocalisé certaines matières au jardin. « Quand ils n’ont pas une feuille devant eux, ils pensent qu’ils ne travaillent pas, sourit Virginie.

Des fois, en fin de journée, ils disaient : “Mais on n’a pas fait le travail !” Et en fait, on avait étudié le cycle de vie des insectes parce qu’ils avaient vu des coccinelles s’accoupler, puis trouvé des œufs… » « Des choses qu’en classe on aurait faites sur une fiche et qui auraient été moins stimulantes, poursuit Loetitia. Là, on était dans le concret, l’expérience. »

Les bienfaits de l’école dehors pour la santé des enfants

La nature offre donc des occasions de relier les programmes scolaires, mais aussi des conditions d’apprentissage favorables du fait de leurs effets sur la santé physique et mentale. Passer du temps dans la nature permet par exemple de réduire l’anxiété, qui nuit à la concentration, mais aussi de faire de l’activité physique et par là de réguler ses frustrations – les études font état d’une diminution des comportements agressifs et du harcèlement dans les écoles en plein air.

Arbres, cailloux et branches sont enfin autant d’opportunités pour les enfants de développer leur imagination, leur connaissance et leur coopération. L’Éducation nationale encourage désormais l’école dehors et pour s’initier, les enseignants peuvent trouver des ressources sur Éduscol ou Réseau Canopée. 

L’école Les Voies de la forêt © Louise Reymond

La pédagogie par la nature

Tommy, lui, va plus loin en s’intéressant à la pédagogie par la nature (PPN). Cette pédagogie alternative repose sur sept piliers, parmi lesquels « un lieu naturel et inspirant » où se rendre de manière régulière. Tommy mène donc ses élèves tous les vendredis dans une forêt qu’il a dénichée à 400 mètres de l’école.

Là, il laisse à ses élèves un temps de jeu libre, autre point clé de la PPN avec la prise de risque mesurée, qui permet aux élèves de relever des défis qu’offre la nature pour apprendre à gérer le risque et développer la confiance en soi.

Le pédagogue par la nature doit donc savoir s’effacer tout en assurant la sécurité. En PPN, on privilégie aussi le processus au résultat, et le programme, flexible, est pensé selon les besoins individuels et collectifs. Comme la pédagogie Montessori à ses débuts, la PPN est encore peu connue en France. « Mon inspectrice n’en voyait pas du tout l’intérêt, rapporte Tommy. Elle pensait qu’on n’apprend rien en construisant une cabane. »

Une école en forêt dans les Monts du Lyonnais

Pourtant à Saint-Martin-en-Haut, une école fait le pari de la PPN. Cofondée par Nina Kleinsz et Julie Cotte-Rosiak, la forest school Les Voies de la forêt a accueilli en septembre ses premiers élèves. Pour y accéder, il faut marcher quelques minutes à travers les bois. Alors apparaît une vaste clairière cernée de grands arbres.

Le panorama est apaisant ; c’est là que se tiendra la classe en toute saison, même en hiver. Lors de jours de grand vent ou de lourdes chutes de neige, dangereux en forêt, la classe se fera dans les locaux, à cinq minutes à pied. Lors de canicules, la végétation apportera la fraîcheur qui manque aux écoles des villes.

La zone de développement maximale des enfants

Pour l’heure, il fait bon. Aux parois du canapé forestier, où les enfants prennent place le matin et à la fin de la journée pour le cercle de partage, pendent les cartables. Au milieu des arbres, un tableau ardoise indique la date du jour. Sur les tables, des glands dispatchés dans des boîtes et des petites chouettes en pomme de pin témoignent des activités du matin: atelier de comptage et découverte des oiseaux.

Il est 10h, les enfants sont en jeu libre, sous le regard de Julie, pédagogue par la nature, et Lou, enseignante. Nina, la directrice, en profite pour expliquer : « Le jeu libre, c’est le moment pour nous d’observer les enfants pour cerner leurs centres d’intérêt et leur niveau pour leur proposer ensuite des activités dans leur zone de développement proximale, c’est-à-dire qui ne soit ni trop facile, ni trop difficile. »

Les Voies de la forêt - L’école dehors
L’école Les Voies de la forêt © Louise Reymond

Des enfants maîtres de leur apprentissage

Là, des enfants construisent une cabane. Ici, un petit garçon a trouvé un scarabée : « Prends-le doucement pour pas lui faire mal », enjoint-il à sa petite sœur qui le réclame. Certains arbres arborent un bandeau rouge: c’est signe qu’il ne faut pas se tenir dessous, car des branches peuvent tomber.

D’autres sont ceinturés de foulards blancs: ce sont les arbres doudous, auprès desquels les enfants peuvent aller se ressourcer quand ils se sentent mal. Nathanaël a choisi un grand chêne, au pied duquel il a amassé des trésors : un escargot, des pierres brillantes, un bâton pointu pour creuser la terre… Soudain, un cri de bergère retentit dans la clairière: c’est le signal pour les élèves de se regrouper. Une tripotée d’enfants sort alors des bois en courant.

Les ateliers dirigés reprennent. Les 22 élèves se répartissent en deux groupes ; les Coccinelles de 3 à 6 ans et les Chevreuils de 7 à 10 ans. « On part de la nature pour faire les mêmes exercices qu’à l’école classique. Pour la lecture, on leur demande de chercher dans la nature des éléments qui commencent par le son M. Mais ici, les enfants sont dans un cadre qui éveille leur curiosité et leur donne envie d’apprendre », explique Julie.

École dehors: « On ne fait pas n’importe quoi ! »

« On essaie de faire en sorte que l’enfant soit acteur de son apprentissage, ajoute Nina. Si on lui dit le nom d’un arbre, il l’oublie aussitôt. Alors que s’il pose la question et qu’on lui permet de trouver les informations par lui-même en proposant un livre ou en observant la nature, ça le marquera. »

Peut-on développer les fondamentaux avec la PPN ? Nina rassure les sceptiques : « On ne fait pas n’importe quoi ! Notre but, c’est d’amener les enfants vers les compétences du socle commun, c’est une obligation. On a seulement le libre choix des méthodes. » Et le charme de la forêt opère : « C’est mon école ! » s’exclame fièrement Cassiopée, 4 ans.

Céleste aussi préfère celle-ci à son ancienne, « car il y a moins de béton ». Une maman bénévole est ravie d’y avoir inscrit ses trois enfants : « Ils n’étaient pas bien dans leur ancienne école : ils rentraient le soir énervés et on a eu des problèmes de harcèlement… Maintenant, ils vont à l’école avec le sourire ! »

Un choix éducatif et financier

Quel est le coût financier de cet épanouissement pour les parents ? Nina le sait, « le reproche qu’on fait souvent aux écoles alternatives, c’est que ça coûte cher, car nous sommes hors contrat. » Pour inscrire son enfant à l’école des Voies de la Forêt, il faut compter 3 600 euros l’année. Mais les rentrées d’argent des formations à la PPN et des ateliers en forêt que propose l’association permettent de baisser les coûts d’inscription pour les familles moins aisées.

De plus, une caisse de solidarité a été créée, abondée par des dons déductibles d’impôts. «Contrairement à ce qu’on pourrait croire, on a beaucoup de familles d’artisans et d’agriculteurs, nuance Nina. Ce sont des familles qui font un choix financier et éducatif. »

Les Voies de la Forêt - L’école dehors
L’école Les Voies de la Forêt © Louise Reymond

Une transition pédagogique pour la transition écologique

Car au sein de l’association Les Voies de la forêt, on croit à une transition écologique par la transition éducative. « On entend beaucoup de discours sur les éco-gestes, explique Nina. On préfère prendre un autre chemin : en amenant les enfants à un contact régulier avec la nature, on crée avec elle un lien fort, et un élan de protection. »

Le même désir porte dans leur profession Tommy, Virginie et Loetitia : « Avec l’été qu’on vient de passer, on va peut-être reconsidérer ces initiatives qui rendent l’enfant attentif au monde qui l’entoure et sensible à la nature. »


*D’après les recherches de Matthieu Chéreau et Moïna Fauchier Delavigne à lire dans L’Enfant dans la nature, pour une révolution verte de l’éducation. Éditions Fayard.

deux élèves l'enseignant Tommy Zielinsky de l'école Sainte-Emilie de Rodat en Isère
Les élèves de l'enseignant Tommy Zielinsky de l'école Sainte-Emilie de Rodat en Isère © T. Zielinsky

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