Après deux ans de Covid, nombreuses sont les études à pointer les conséquences d’un manque de pratique sportive sur la santé des enfants. Aggravé par la crise sanitaire, ce manque d’activité physique des jeunes est en fait en hausse depuis une quinzaine d’années à cause d’un mode de vie trop sédentaire. Pour enrayer le phénomène, le milieu sportif lyonnais cherche des moyens de toucher davantage les enfants et l’Éducation nationale veut instaurer « Trente minutes d’activité physique quotidienne » dans les écoles. À Villeurbanne, l’une d’entre elles teste justement l’initiative ministérielle.
Bouger, un enjeu de santé publique
« Les cours de sport n’ont rien à voir avec ceux d’il y a dix ans. Avant, on apprenait à se surpasser physiquement… On pouvait nager des distances de 1000 m; aujourd’hui, c’est compliqué d’en atteindre 100. » Anthony Valet est éducateur sportif à Villeurbanne. Depuis quinze ans qu’il intervient dans les écoles, il constate une diminution des capacités physiques des enfants. « La motricité, c’est catastrophique, s’inquiète-t-il. Dans ma classe de CM2, un tiers des élèves n’était pas capable de faire des montées de genoux, un geste pourtant basique. » Un problème de coordination dû à un manque de stimulation selon l’éducateur, non sans conséquence ; en 2019, une étude de l’OMS mettait en garde : « La majorité des adolescents du monde ne sont pas assez actifs physiquement, ce qui met en danger leur santé actuelle et future. » En cause : un mode de vie trop sédentaire, truffé d’écrans qui enferment les enfants dans une bulle d’inactivité. Une évolution dont les professeurs d’EPS sont les premiers témoins, aussi bien au collège qu’en primaire. « J’ai appris qu’un de mes élèves en surpoids se lève à 7 heures le week-end pour jouer aux jeux vidéo en ligne toute la journée. Là, si les parents ne mettent pas un frein, c’est zéro activité physique du week-end et du grignotage! », alerte l’éducateur. Cette inactivité induite par les écrans s’observe aussi du côté des adolescents : « Avant, pour avoir une vie sociale, il fallait sortir dans le quartier, observe Sandrine**, professeure d’EPS dans un collège de Vaulx-en-Velin. Maintenant, il leur faut juste un téléphone. » L’OMS l’affirme pourtant : l’activité physique prévient les maladies, réduit la dépression et l’anxiété, améliore les capacités d’apprentissage, garantit un développement sain… Aussi recommande-t-elle trois heures d’activité physique par jour pour les enfants de 3 à 4 ans, et une heure par jour agrémentée de sport trois fois par semaine, de 5 à 17 ans. C’est à distinguer du sport stricto sensu, et peut simplement être de la marche, du vélo, des jeux dans le jardin… « On capitalise pour la vie l’activité sportive faite entre 10 et 14 ans, justifie Laurent Guilhermet, membre du bureau de l’Office des Sports de Lyon et président des sapeurs-pompiers de Lyon. Si pendant cette période-là, je me construis mal en mangeant du Nutella dans mon canapé, j’aurai beau me remettre au sport à 30 ans, je ne pourrai pas rattraper ça. »
Sandrine abonde : « Plus l’enfant est stimulé tôt, plus il aura des facilités à faire du sport plus tard. Il faut leur donner l’habitude de bouger, d’aller à l’école à pied plutôt qu’en trottinette électrique… »
Le Covid responsable aussi de la baisse d’activité physique
Depuis l’étude de l’OMS, deux ans de Covid n’ont rien arrangé. Confinements, clubs de sport fermés, couvre-feu et cours d’EPS compliqués par les distanciations sociales ont considérablement réduit le temps d’activité physique. Dans son collège de Vaulx-en-Velin, Sandrine constate les dégâts : « Avant le Covid, on avait en moyenne 50 % de non-nageurs à l’arrivée en 6e ; cette année, sur une classe de 25 élèves, j’en ai 18 qui ne savent pas nager. » Elle rapporte aussi que certains élèves sont plus rapidement essoufflés et ont pris du poids. Alexis Ferrier, professeur d’EPS en lycée après avoir longtemps enseigné en collège, affirme : « L’activité physique est importante particulièrement à une période de la vie où l’on construit une motricité. Évidemment, deux ans d’inactivité, ça a un impact. »
Chez les 3–4 ans, l’impact se fait aussi sentir sur le développement cognitif. Isabelle Motel-Picard, psychomotricienne à Tassin-la-Demi-Lune, observe une montée des troubles de l’espace : « Ce sont des enfants qui vont plus chuter, qui sont plus maladroits par défaut d’expérience, car ils n’ont pas pu explorer leur corps dans l’espace et développer les compétences attendues. Pour d’autres enfants, c’est le rapport aux émotions qui a été entravé: comment on décharge ses émotions quand on doit se contenir dans la cour de récré, qu’on ne part plus faire du vélo le week-end avec les parents? »
Le Covid a creusé les inégalités sociales dans la pratique sportive
« Pour un public défavorisé, l’école, ça va être le seul endroit où les enfants font du sport, explique Anthony Vallet. Quand on demande qui va à la piscine avec les parents, on se rend compte que dans des établissements REP ou REP+, il n’y en a pas des masses ! » Pour eux, le temps de sport réduit à l’école a donc eu des impacts plus importants. À l’inverse, « ceux qui ont une culture sportive ou pratiquent en club ont vite repris après le Covid. Ce sont souvent des catégories sociales aisées », pointe Nicolas Karam, professeur d’EPS au collège privé des Lazaristes à Lyon. Pour Sandrine, qui s’inquiète du niveau en natation de petits Vaudais habitués à se baigner l’été au lac de Miribel Jonage, cette baisse des aptitudes physiques des jeunes est un « problème de santé publique que le Covid a aggravé. »
École et associations : l’impossibilité de jouer collectif ?
Face à ces constats, l’Office du Sport de Lyon organisait en mars les premiers Ateliers d’échange du sport lyonnais. Enseignants, professeurs des écoles, membres d’associations sportives ou d’Offisa*** et élus locaux se sont rencontrés pour imaginer des pistes d’action pour « un plus grand impact sur la pratique sportive des Lyonnais·es ». Créer des passerelles entre l’école primaire et les associations sportives est l’un des axes de réflexion au programme. Nicolas Damon, président de l’Offisa Lyon 1er, y participe avec plaisir, mais reste sceptique. Las, il évoque le cloison-
nement entre le monde du sport et de l’école, mais aussi et avant tout entre les associations sportives et les Offisa : « On ne travaille pas du tout
ensemble, on est chacun de son côté. C’est difficile de mener à bien des projets… »
Au cours des échanges, est aussi pointée l’inertie de l’Éducation nationale qui, par de rigides protocoles administratifs et le primat de la sécurité, entrave les associations sportives lorsqu’elles veulent pénétrer les écoles. Lesquelles évoquent pourtant des difficultés à trouver des gens formés pour animer des activités physiques sur les temps périscolaires. « Aujourd’hui en France, il n’y a aucun lien entre le milieu sportif associatif et l’école, regrette Laurent Guilhermet. C’est une grosse erreur, car, avec la famille, ils sont les piliers de l’éducation des enfants. » Une spécificité de la France qui, en 119e position sur la liste des pays les plus actifs au monde parmi 146, fait figure de mauvais élève européen. « En Allemagne et en Angleterre, le sport est central à l’école; toutes les après-midi y sont consacrées, fait remarquer le sapeur-pompier. Alors qu’en France, le prof de sport a longtemps été déconsidéré. Heureusement, c’est en train de changer. »
Trente minutes d’activité physique par jour à l’école
Car depuis le rattachement en 2020 des personnels Jeunesse et Sports au ministère de l’Éducation, le renforcement de la pratique du sport à l’école dans une perspective de santé est devenu un objectif de l’Éducation nationale. Doublé d’une volonté politique en vue des Jeux Olympiques 2024, il se traduit notamment par l’opération « Trente minutes d’activité physique quotidienne » (30’APQ). Initié de concert avec le Comité d’organisation des JO, le dispositif instaure une demi-heure d’activité physique chaque jour dans 50 % des écoles à fin 2022 avant d’être généralisé en 2024. Un projet qui « répond avant tout à des enjeux importants de santé publique », affirme sur son site l’Éducation nationale, qui entend « lutter contre la sédentarité » pour garantir « une bonne santé, condition fondamentale pour bien apprendre ». Mais qu’entend-on exactement par activité physique ? Pour l’OMS, il s’agit de « tout mouvement corporel produit par les muscles
squelettiques qui requiert une dépense d’énergie », tel que la marche ou le vélo. L’APQ diffère ainsi de l’éducation physique et sportive et doit venir s’ajouter aux trois heures d’EPS. Avec comme prérequis qu’elles s’insèrent facilement dans l’emploi du temps de la classe, ces 30 minutes d’APQ ne nécessitent ni équipement ni tenue de sport et peuvent se faire à tout moment de la journée : le matin avant la classe, pendant la récréation, sur les temps périscolaires… Pour accompagner les écoles, un référent 30’APQ est désigné auprès de chaque directeur académique et des ressources pour « bouger au rythme de la journée » sont disponibles sur la plateforme du comité d’organisation des JO. Une circulaire de janvier 2022 fixe aussi les possibilités d’une collaboration entre les écoles et des clubs sportifs affiliés à des fédérations sportives agréées. Mais l’initiative ne convainc pas tout le monde. Aux Ateliers d’échange du sport lyonnais, les participants se méfient. « Quand ça vient d’en haut, ça ne peut pas marcher », pense Nicolas Damon; « C’est de la communication pour les JO », déplore Gérard Corger, membre du bureau de l’Office des Sports de Lyon. « Vous verrez que ça ne se fera jamais, fustige pour sa part une professeure des écoles arrivée à Lyon il y a peu et surprise par le manque de coordination de l’action sportive auprès des jeunes. Nous, enseignants, n’avons même pas été consultés sur la faisabilité de la chose. OK on n’aurait pas besoin de mettre les enfants en tenue pour faire ces 30 minutes, mais on a déjà du mal à ce qu’ils ne viennent pas en tong à l’école; je ne veux pas me retrouver avec des chevilles cassées ! Et puis dans notre toute petite cour digne d’une prison, je ne vois pas comment on peut faire. »
Pour Alexis Ferrier, « si le gouvernement veut agir pour la santé des enfants, il n’a qu’à passer les cours d’EPS à quatre heures par semaine ». Une revendication des syndicats depuis plusieurs années, car si les 6e bénéficient de quatre heures d’EPS, ce temps est ramené à trois heures les années suivantes. « Et à cela, il faut décompter le temps de trajet, de vestiaire, de consignes, d’échauffement, souligne Sandrine. Nous, on a peu d’installation sur place, donc on marche : à la fin, sur deux heures d’EPS, on en fait la moitié… » Car le temps de pratique dépend de l’équipement à disposition. « Aux “Lazo”, on a un gymnase; sur deux heures d’EPS, ça permet d’en faire une heure quarante-cinq », prend en exemple Nicolas Karam. Mais toutes les écoles en centre-ville ne sont pas dans ce cas.
« Dans le centre, il y a moins d’équipement par manque de place et en
raison de créneaux surchargés », nuance l’enseignant. De manière générale donc, « le temps effectif de pratique n’y est pas, affirme Anthony Vallet. Ce n’est pas par l’école qu’on va l’obtenir, mais par le club ou les parents. »
Une école villeurbannaise dans les starting-blocks
Pourtant, à Villeurbanne, une école a voulu relever le défi. Depuis janvier 2022, l’école Lakanal teste les 30 minutes d’APQ avec le concours de la Fédération française d’athlétisme. « Dans le département, peu d’écoles sont investies dans le dispositif, présente Vanessa Routhier, conseillère pédagogique. Et en lien avec une association sportive, c’est la seule. » C’est Danièle Roberto, responsable de l’école d’athlétisme de l’Asvel et très engagée dans le projet, qui intervient dans deux classes de CP et CE1 aux côtés des maîtres Pierre-Étienne Page et Éric Bacis. « Grâce à ce projet, nous sportifs, on touche à ces temps scolaires où il y a un besoin, se réjouit-elle. Les enseignants n’ont pas toujours le temps ou la formation. On leur apporte des outils pour qu’ils s’approprient la démarche. Ils se rendent compte que c’est faisable et que c’est un apport sur tout le reste : la concentration, le goût de l’effort… » Éric Bacis ressent le bénéfice : « Je n’ai pas l’impression de perdre du temps d’enseignement; au retour en classe, je les trouve plus attentifs. »
L’EPS étant le mardi et le vendredi, l’APQ a lieu le lundi et le jeudi. Deux temps bien différents : « L’EPS est un enseignement structuré, alors que l’APQ est un temps pour bouger qui se fond dans le quotidien scolaire », explique Vanessa. Pas besoin de matériel spécifique : pour Danièle, l’outil magique, c’est la craie : « On peut tout faire avec juste un morceau de craie : on dessine une marelle et c’est parti! » Elle apporte tout de même quelques cordes fournies par la Fédération d’athlétisme qu’elle laisse à disposition de l’école, tout comme des fiches d’exercices, exposées sur un mur de la cour pour que les enfants puissent se les approprier et continuer l’APQ en récréation. « L’objectif, c’est qu’ils se saisissent des outils pour entrer en activité d’eux-mêmes, qu’ils trouvent du plaisir dans le fait de bouger », explique Éric. Ce jeudi matin, par exemple, c’est corde à sauter. Les CE1 débarquent dans la cour : certains sont surexcités, d’autres encore ensommeillés. Après avoir dessiné des cases au sol avec sa craie, Danièle commence l’échauffement. Puis, la séance débute. Les enfants en sont à leur deuxième temps sur un cycle de cinq pour apprendre à sauter à la corde. « J’en ai fait 8! »; « C’est trop difficile! »; « Maître, maître! Est-ce que c’est bien comme ça? » Les pieds se prennent dans les cordes, les cordes dans les capuches; certains sautent trop tôt, d’autres trop tard… Pour les aider, Danièle décompose le mouvement avec eux. « On voit que sur la coordination, il y a un gros manque chez certains, note Vanessa Routhier qui assiste à la séance. Le saut à pieds joints, c’est quelque chose qui est acquis à la maternelle normalement. » Au bout de vingt minutes, certains élèves transpirent déjà. « Comme on rend ça très ludique, ils ne se rendent pas compte qu’ils sautent depuis quinze minutes! », triomphe Danièle.
Développer chez l’enfant une culture du sport
Si l’APQ dans les écoles peut être un levier pour amener les enfants à plus d’activité physique, pour les collégiens plus tournés vers les écrans et de manière générale, Laurent Guilhermet pointe l’importance de donner aux jeunes le goût du sport : « Il faut aller chercher l’enfant, développer chez lui une culture du sport. Pour cela, le cadre familial est prépondérant. » Une observation que partage la psychomotricienne Isabelle Motel-Picard: « Pour les plus jeunes, le modèle parental est important. Il faut rester vigilant: ce n’est pas parce que la pandémie s’arrête qu’on reprend de bonnes habitudes. Moins ou bouge, moins on y arrive : on peut perdre du souffle, du muscle, de la confiance en soi… » Elle conseille donc aux parents de chercher avec leur enfant une activité qui lui fait envie dans un club. Pour les plus petits qui n’ont pas pu développer leurs capacités psychomotrices correctement pendant deux ans, elle rassure : « Un enfant qui n’a pas de fragilité particulière récupérera vite, à condition qu’on lui offre des expériences qui le permettent. Ce peut être des choses simples du quotidien : aller marcher, sauter des plots, danser dans le salon… Tout ce qui est de l’ordre du plaisir du mouvement et permet d’expérimenter sa motricité. » Pour l’enseignant Nicolas Karam, « l’enjeu, ce n’est pas seulement être bien dans son corps, mais aussi dans sa tête, ce qui est tout aussi important. C’est développer son mental, habiter son corps, s’entraider, se surpasser… Je suis convaincu que le sport, c’est l’école de la vie. »
* Réalisées lors des ateliers Cirque des Subsistances, que nous remercions.
** Le prénom a été changé à la demande de l’intéressée.
*** Offices municipaux et associatifs destinés à faire rayonner le sport
sur un arrondissement.
Article rédigé par Louise Reymond. Photos réalisées lors des ateliers Cirque des Subsistances, que nous remercions. © Susie Waroude